La justice restaurative : créer le dialogue entre criminels et victimes

Une conférence internationale sur la « justice restaurative » doit se dérouler à Paris ces 18 et 19 janvier 2017.

Ce processus, encore peu connu, est entré dans la loi française en 2014. Plus ancien dans de nombreux autres pays, il est déjà depuis longtemps en vigueur en Belgique et au Canada.

Placer quatre détenus, auteurs de crimes graves (homicides, crimes sexuels, braquages…) et quatre victimes de crimes semblables pour qu’ils se parlent, reviennent sur la genèse et les répercussions de cet acte sur leurs vies, et tentent de se comprendre… une situation surréaliste ? Au Québec et en France, la réponse à cette question est : « non ».

Ce type de réunion existe depuis 2001 au Québec, et depuis 2010 en France. Cela s’appelle des « rencontres détenus-victimes ». Elles se déroulent dans le cadre d’un processus plus large, la « justice restaurative », qui a pour but d’offrir un « lieu de parole respectueux, sécurisé, où les gens peuvent se parler ouvertement, poser des questions, se répondre », selon les termes de Claire Messier, psychothérapeute et animatrice de rencontres détenus-victimes au Canada. « Ce qui est important aussi, c’est de définir ce que la justice restaurative n’est pas, précise Robert Cario, président de l’Institut français pour la justice restaurative qui organise la conférence de ce mois de janvier. Elle n’est ni en opposition au système pénal, ni thérapeutique, ni orientée vers le pardon. Ce dernier est intime aux personnes. »

Le but poursuivi en recourant à la justice restaurative est de chercher les réponses aux « pourquoi » et aux « comment » d’une affaire. « Il s’agit d’aller sur le cheminement vers l’apaisement. Alors que le procès pénal, lui, se concentre sur les conséquences de l’acte, la justice restaurative concerne ses répercussions à titres personnel, familial et/ou professionnel », décrit le criminologue.

Pied d’égalité

Cette justice peut emprunter plusieurs formes. Parmi elles : les rencontres détenus-victimes, qui consistent à faire se rencontrer sur un pied d’égalité quatre victimes et quatre auteurs d’infractions semblables mais différentes, à plusieurs reprises, en un laps de temps prédéfini. Aucun auteur ne rencontre sa propre victime, et réciproquement. « Dans le cas d’un inceste par exemple, cela permet à une personne, quand elle est prête à parler à son père mais que celui-ci reste dans la négation, de s’adresser à un vis-à-vis capable de reconnaître ce qu’il a fait et d’en parler », indique Claire Messier. S’y ajoute deux « membres de la communauté », c’est-à-dire des personnes sans lien aucun avec les participants, mais qui doivent représenter la société dans son ensemble. Cela pour que l’auteur comme la victime trouvent une oreille attentive, prête à les entendre et à les comprendre sans parti pris, indiquent plusieurs interlocuteurs.

Au Québec, mille personnes sont concernées par ce programme depuis son lancement en 2001, dénombre Catherine Rossi, vice-présidente du Centre de services de justice réparatrice canadien (selon les pays, la justice restaurative est désignée par les termes « restaurative », « restauratrice » ou « réparatrice », ndlr). Le système a été repris pour la première fois en France en 2010, avec l’organisation de rencontres à la Maison centrale de Poissy.

Depuis, de nouvelles sessions se sont déroulées, ces rencontres et la justice restaurative plus en général sont entrées dans la loi française à l’occasion de la réforme pénale de 2014, et deux services régionaux de justice restaurative ont vu le jour dans l’Hexagone (cinq autres sont en cours de création en métropole et en Outre-mer). Des échanges réguliers ont également vu le jour entre le Québec et la France.

Ce pays devrait bientôt reprendre un autre programme : les rencontres en « face à face » entre la victime et l’auteur d’une même affaire. Des réflexions sont en cours dans les villes de Pau et de Valence, notamment.
Au Canada, ce système de médiation est né « car les victimes allaient seules au parloir, sans aucune sécurité », relate Catherine Rossi. « Sécurité », c’est-à-dire être paré à toute éventualité, ne pas être poussé (même par soi-même) pour aller à la rencontre de son agresseur, pouvoir parler, écouter, renoncer… La justice restaurative s’est développée au Canada dès les années 1970.

En Europe, la Belgique, notamment, organise de telles rencontres. « Nous avons construit un modèle propre à la Belgique, estime Ivo Aertsen, de l’Institut de criminologie de Louvain (lien en anglais). Les recherches menées sur les besoins des victimes ont été très importantes pour développer ce modèle de médiation pour adultes. » Elle est organisée par des structures à but non lucratif.

Au-delà du fait de permettre la quête voire de trouver l’apaisement après un procès pénal et son verdict, la justice restaurative procure un effet positif en matière de récidive, soulignent ses promoteurs. « Elle est plus efficace sur cette question (que la justice pénale, ndlr). La recherche le démontre, note Serge Charbonneau, directeur du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec. Mais il ne faut pas voir que cet aspect-là ». En 2003, une étude de la Sécurité publique canadienne indiquait que « les programmes de justice réparatrice ont entraîné en moyenne une baisse de 3 % du taux de récidive ». Plus récemment en France, en 2013, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive estimait que « les recherches menées à ce sujet donnent des résultats variables ».

À noter : l’auteur qui participe à une médiation (ou à une rencontre détenu-victime) n’obtient pas de contre-partie. La justice restaurative n’est pas une alternative à la peine.

Le médiation peut également prendre la forme de « cercles de soutien et de responsabilité » visant à faire se rencontrer régulièrement un ex-délinquant et des bénévoles membres de la communauté, pour l’aider à se réinsérer socialement. Ils se sont notamment développés au Canada sous l’influence de pratiques autochtones.

La justice restaurative dans un contexte post-conflit

Stephan Parmentier, de l’Institut de criminologie de Louvain, travaille sur cette thématique. Il relate avoir étudié quelques formules de justice restaurative dans ces cas de graves violations des droits de l’Homme (tortures, disparitions, dommages des biens…). Par exemple : les commissions dites « vérité et réconciliation ». Ainsi, dans le cas de la commission mise sur pied en Afrique du Sud à l’issue de l’Apartheid, les victimes et les auteurs ayant accepté de participer ont noué un « dialogue » et une « intercompréhension ». Dans de rares exemples, cela a même donné lieu à un « pardon ».

Il note que pour définir la justice restaurative dans un tel contexte, il faut la participation d’au moins un auteur, une victime, et un représentant de la société. « Elle est importante, car il s’agit du contexte politique qui a produit le conflit. »

Il souligne l’intérêt de ce processus dans le cas des enfants-soldats, pour leur offrir de nouvelles possibilités alors que tout en étant auteurs d’actes graves, ils sont également des victimes.

Ce processus est souvent conduit par l’État. C’est le cas notamment des commissions « vérité et réconciliation ». Mais il y a aussi des méthodes traditionnelles de justice restaurative qui, dans la pratique, se font à l’initiative de communautés villageoises.

Existe enfin des « modèles mixtes entre restauratif et rétributif ». C’est le cas des juridictions populaires Gacaca au Rwanda. Stephan Parmentier relate que pour certains, il s’agit de justice restaurative car elles proposent un lieu où l’auteur et la victime peuvent se rencontrer et discuter de ce qu’il s’est passé. Il souligne cependant que l’objectif final de ces tribunaux n’est pas la réinsertion sociale ou le dialogue, mais de punir ceux s’étant livrés à des crimes.

Médiation pour mineurs

Mais la justice restaurative concerne aussi particulièrement les mineurs. « L’Irlande du Nord est sans doute le pays le plus avancé dans ce domaine », note Ivo Aertsen. Des « conférences restauratives familiales » y sont déployées. En Belgique, la loi de 2006 sur la justice des mineurs offre pour sa part une large place aux mesures de médiation. D’autres pays comme l’Espagne et les Pays-Bas et, hors de l’Europe, la Nouvelle-Zélande, ont également développé la justice restaurative juvénile, avance Edit Törzs, du Forum européen pour la justice restaurative.

Au Québec, 70 % des adolescents interpellés chaque année ne sont pas judiciarisés, mais impliqués dans un processus de médiation ou dans des travaux communautaires, précise Catherine Rossi. L’adolescent est évalué en début de parcours pour définir s’il sera adressé à la justice pénale ou à la justice restaurative. Les sanctions, qui doivent être proposées par l’adolescent, doivent s’approcher le plus possible de l’infraction qu’ils a commise. Par exemple : effectuer 200 heures de travaux dans le magasin qu’il a volé.

De la justice restaurative pour les petits délits commis par des mineurs aux crimes les plus graves, commis par des adultes, l’éventail des infractions est large. Une « troisième voie », consistant en un programme pour les petits délits commis par de jeunes adultes est en cours d’élaboration au Québec. De l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, Edit Törzs, note que « la plupart des pays excluent les crimes les plus graves de la justice restaurative ». Parmi ceux qui ne les excluent pas : la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Autriche et la France. La situation est donc très contrastée.

Marge de progression

La justice restaurative n’est cependant pas employée autant qu’elle le pourrait, selon plusieurs interlocuteurs. « Dans beaucoup de pays du monde et en Europe, il existe une législation sur la justice restaurative. Mais si nous regardons les chiffres, le nombre de cas, chaque année dans chaque pays, reste très bas. Cela signifie qu’il y a un potentiel quantitatif qui n’est pas utilisé dans la plupart des pays », commente ainsi Ivo Aertsen. En cause notamment : la méconnaissance de l’existence de cette justice, complémentaire des procédures pénales. Tant par ceux qui pourraient y avoir recours que par une partie du système judiciaire.

La justice restaurative en Europe

Le Conseil de l’Europe comme l’Union européenne ont légiféré au sujet de la justice restaurative :

• Le Conseil de l’Europe a publié en 1998 une recommandation sur la médiation en matière pénale. Le conseil de coopération pénologique du Conseil envisage de la réviser cette année, indique Edit Törzs.

• L’Union européenne, elle, soutient de nombreux projets liés à la justice restaurative, précise la membre du Forum européen pour la justice restaurative. En 2001, une décision-cadre a été publiée sur le statut des victimes. Il s’agissait alors du premier instrument juridique de l’U.E. mentionnant la médiation pénale. Elle a été remplacée en 2012 par une directive.

Retrouvez cet article sur TV5 Monde.

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