La justice confrontée à de graves difficultés financières

Article de  Laurence De Charette, paru sur leFigaro.fr le 15 mai 2010


«Pendant des années, nous avons crié au loup… Le manque de moyens de la justice était une éternelle complainte, cette fois, personne ne nous écoute, pourtant c’est devenu une réalité tragique», confie ce magistrat parisien. La situation de la cour d’appel s’est en effet dégradée au point que le premier président sortant, Jean-Claude Magendie, s’est fendu d’une virulente critique, au cours de son dernier discours public. Mais le palais de justice de Paris est loin d’être le seul concerné. À travers l’Hexagone, les tribunaux tirent la corde. Alors que la moitié de l’année n’est pas écoulée, les chefs de cour, responsables de la gestion de leurs tribunaux, peinent déjà à payer certaines factures, où réclament des rallonges. «À Douai, il manquait 6 millions d’euros pour payer les frais de justice», lâche un responsable. «À Aix, le procès du Stade-Vélodrome a mangé tous nos crédits, on ne s’en sort plus», se plaint un autre.


Un poste de dépense est d’ores et déjà menacé à court terme : le budget sécurité des tribunaux. Dans beaucoup de juridictions, on cherche désespérément des retraités de la police et de la gendarmerie pour prendre le relais des agents de sécurité privé qui font fonctionner les portiques d’entrée -désormais trop coûteux. La généralisation des portiques à l’entrée des tribunaux est pourtant récente, et a fait suite à plusieurs agressions de magistrats à l’intérieur des palais de justice. C’est l’un des rares points que les magistrats mettent volontiers au crédit du précédent garde des Sceaux, Rachida Dati. «Nous n’avons plus d’agent de sécurité à partir de l’automne prochain», explique Pierre-Yves Calais, procureur de Senlis.


De nombreux chefs de cour expliquent également leur difficulté à régler leurs fournisseurs. «Nous avons à peu près 20% de retard dans les paiements», détaille le procureur de Senlis. Il faut dire que pour l’année en cours, le budget de fonctionnement du tribunal a perdu, selon les calculs prévisionnels, près de 20% par rapport à l’année passée, régressant de 400 000 euros à 300 000 d’euros. À Évry «nous sommes obligés de faire le tri parmi nos prestataires, explique Michel Lernout, procureur, de façon à payer prioritairement ceux dont la survie est menacée». Les associations d’aide aux victimes ou celles qui réalisent les enquêtes de personnalité indispensables au fonctionnement de la justice figurent au rang des fournisseurs stratégiques. Sans enquête de personnalité, un jugement peut être annulé… Mais les tribunaux peinent à s’acquitter de leur dette vis-à-vis de l’ensemble des experts, les médecins qui interviennent dans les gardes à vue, ou encore les huissiers pourtant chargés de signifier les jugements ou de convoquer les prévenus…


La rigueur frappe également l’aide juridictionnelle. Dans plusieurs barreaux, les avocats se plaignent de ne plus être rémunérés en temps et en heure par l’État lorsqu’ils interviennent pour les personnes les plus modestes. C’est le cas de plusieurs grands barreaux de province, notamment Toulouse, Lille, Bordeaux, etc. À Toulouse, les robes noires menacent même de faire grève, si les délais de paiement ne se résorbent pas : une assemblée générale est prévue le 18 mai prochain. Les barreaux sont confrontés aux restrictions d’effectifs dans certains bureaux d’aide juridictionnelle ne parvenant pas à écluser les dossiers et à la stricte application des consignes de rigueur.


Pour faire face à l’ensemble de ces priorités, Michèle Alliot-Marie a pourtant effectué plusieurs «rallonges» budgétaires : 30 millions ont été «dégelés» puis 17 millions de report de l’année précédente ont été «recyclés» selon le jargon budgétaire. Ce sont donc 47 millions qui ont été au total reversés au pot, affectés au fonctionnement des tribunaux et des frais de justice, qui représentent 620 millions au total. Mais ils ne permettent pas d’absorber le choc d’une diminution de 10% des crédits de fonctionnement et de 15% à 18% des frais de justice prévus sur l’année… La Chancellerie ne se montre pourtant pas sourde aux inquiétudes des chefs de cour, consciente que plusieurs années d’effort budgétaire ont rogné les marges d’économies. Les recevant la semaine dernière, Michèle Alliot-Marie a de nouveau incité à la rigueur. Car les solutions budgétaires, elles, n’existent pas à ce jour.

source : LeFigaro.fr
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