Article de Franck Johannès paru sur LeMonde.fr le 20 octobre 2011
La fouille à nu systématique des détenus, interdite depuis 2009, reste une pratique habituelle dans l’Hexagone. La France a ainsi été condamnée à trois reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui considère qu’il s’agit d’un « traitement dégradant ». Pourtant, s’alarme l’Observatoire international des prisons (OIP), cette procédure perdure.
Personne ne conteste à l’administration pénitentiaire le droit de fouiller un détenu, même à nu, ou sa cellule – c’est même son devoir, et la prise en otage pendant une dizaine d’heures d’un médecin par un détenu armé d’un poinçon, mardi 18 octobre, n’a pu que le souligner. Ne sont en cause que les fouilles à nu systématiques et humiliantes, notamment après chaque visite et parloir.
Les détenus doivent se déshabiller devant un ou plusieurs surveillants, souvent dans des locaux qui ne sont pas fermés, ouvrir la bouche, soulever la langue, retirer éventuellement leurs prothèses, lever les bras, montrer la plante des pieds, écarter les jambes, pour les femmes soulever leurs seins pendant qu’on fouille leurs vêtements, en essuyant parfois de lourdes plaisanteries sur tel ou tel détail de leur anatomie.
Depuis une circulaire d’avril, il n’est théoriquement plus demandé au détenu de se pencher en avant et de tousser pendant qu’on lui vérifie l’anus.
La loi pénitentiaire de 2009, qui proscrit les fouilles systématiques, n’est pas respectée : l’OIP assure que les fouilles intégrales reviennent en force et a engagé, jeudi 20 octobre, une série de recours pour excès de pouvoir à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), Oermingen (Bas-Rhin) et Poitiers-Vivonne ; trois demandes d’abrogation de règlement intérieur de prison ont été faites à Rennes, Nantes, Caen, et d’autres actions sont envisagées à Roanne (Loire) et Toulouse. L’administration pénitentiaire estime, quant à elle, qu’elle est en conformité avec la loi, et que les fouilles à nu ne sont pas « systématiques » mais « fréquentes ».
C’est déjà un vieux combat. « Il y a quelque chose de très profond dans la manière dont l’administration a construit sa relation avec les détenus, indique Nicolas Ferran, pour l’OIP. La fouille intégrale en fait évidemment partie, et la sécurité n’explique pas tout. »
La Cour européenne a donné un premier coup d’arrêt le 12 juin 2007, dans l’arrêt Frérot contre France (du nom du requérant Maxime Frérot, ex-membre d’Action directe) : « S’agissant spécifiquement de la fouille corporelle des détenus, la Cour n’a aucune difficulté à concevoir qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente, de ce seul fait, atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes. » La fouille à nu systématique est bien « un traitement dégradant ».
Le constat est d’ailleurs largement partagé. Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) avait estimé, le 10 décembre 2007, qu’une « fréquence élevée de fouille à corps – avec mise à nu systématique – d’un détenu comporte un risque élevé de traitement dégradant ». Les parlementaires en avaient conscience. « Etre mis à nu devant un autre, expliquait l’ancien garde des sceaux Robert Badinter, c’est la première étape de la dégradation du sujet. Les régimes totalitaires le savent bien, et de multiples témoignages nous sont parvenus de périodes tragiques et de lieux concentrationnaires. »
L’UMP, lors de sa convention justice de juin 2006, avait conclu que « les atteintes (que) constituent (ces pratiques) à la dignité des détenus, et d’une certaine manière à celle des surveillants, sont disproportionnées par rapport à l’objet qu’elles poursuivent et aux résultats qu’elles obtiennent ».
Il a ainsi été aisé de voter l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 : « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. » La loi précise que « la nature et la fréquence (de ces fouilles) sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. »
Les fouilles ne peuvent donc pas être générales, mais « doivent répondre à un principe de nécessité », analyse Me Patrice Spinosi, conseil de l’OIP. « A un principe de proportionnalité, en fonction de la personnalité du détenu et des conditions de sécurité, et un principe de subsidiarité, lorsque les autres moyens ne sont pas possibles. »
L’OIP a saisi en juillet le tribunal administratif d’une note du directeur du centre de détention de Bapaume (Pas-de-Calais), qui prévoyait une fouille intégrale pour « toute personne détenue ayant eu accès » aux ateliers, parloirs, vestiaires. La chancellerie a abrogé la note quelques jours avant l’audience.
Un mois plus tard, un détenu de 61 ans du centre de détention de Salon-de-Provence s’est ému d’être systématiquement fouillé à nu (il avait curieusement le droit de garder ses chaussettes), après chaque visite de ses vieux parents. Le juge des référés de Marseille a suspendu les fouilles, estimant que « l’administration n’apportait aucun élément » permettant de les justifier. Ce régime « constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de l’intéressé, de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants ».
Le Conseil d’Etat a considéré que les conditions de l’urgence, en référé, n’étaient pas remplies, mais a répété que « la situation de l’établissement pénitentiaire de Salon-de-Provence, si elle appelle des mesures de sécurité renforcées depuis l’été, ne justifie pas nécessairement, pour tous les détenus sans distinction, une fouille corporelle intégrale répétée à la sortie de chaque parloir ».
L’administration ne s’en émeut guère. « Les fouilles ne sont pas systématiques, elles sont fréquentes, explique Henri Masse, le directeur de l’administration pénitentiaire (DAP). Il n’y a plus de séparation dans les parloirs, on peut toucher son visiteur, le prendre dans ses bras. Il peut aussi passer des objets. » En effet, 24 000 objets illicites ont été découverts en prison en 2010, dont 10 000 téléphones portables et 512 armes artisanales.
« Les fouilles sont faites en fonction de la dangerosité du détenu et du contexte général de la prison, il faut être extrêmement vigilant », poursuit le DAP. Un premier scanner corporel, pour éviter les fouilles à nu, a été installé à Paris, un autre va être testé à Lannemezan (Hautes-Pyrénées).