Article publié le 13/04/2011 sur lemonde.fr
Pour Michel Mercier, ministre de la justice, Nicolas Sarkozy est « à la fois le garant du bon fonctionnement des institutions et le porteur des sentiments des Français ».
Le texte est présenté par Michel Mercier, mercredi 13 avril, en conseil des ministres, mais c’est Brice Hortefeux qui en a été l’instigateur. Le projet de loi sur l’introduction de jurés populaires en correctionnelle a été monté à toute vitesse par le garde des sceaux, sous l’impulsion de l’ancien ministre de l’intérieur et du président de la République.
En mettant en doute, le 17 septembre, dans les colonnes du Figaro magazine, la compétence des « magistrats professionnels » après un meurtre dont l’auteur avait déjà été condamné pour viol, Brice Hortefeux avait ouvert le débat. Deux mois plus tard, le 16 novembre, Nicolas Sarkozy enfonçait le clou lors d’une intervention télévisée : il faut « faire entrer des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels ».
DES CITOYENS ASSESSEURS AUPRÈS DES MAGISTRATS
Deux « citoyens assesseurs » siégeraient désormais avec les trois magistrats professionnels qui composent les tribunaux correctionnels, mais pour certains cas seulement. « Chacun disposera d’une voix égale pour décider ou non de la culpabilité d’un prévenu et de la peine, précise le garde des sceaux dans une interview à 20 Minutes. Et au final, le jugement sera rédigé par un magistrat. »
Les citoyens assesseurs percevront entre 108 et 180 euros par jour, « selon leur situation » souligne le ministre, qui estime que six mille à neuf mille citoyens assesseurs par an seront concernés, qui siégeront dans quarante mille affaires environ. Ils seront également associés aux jugements de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à cinq ans ou plus de détention.
Autre changement annoncé par M. Mercier, la création d’une « cour d’assises simplifiée ». Composée de trois magistrats et de deux citoyens assesseurs, elle devra examiner les crimes punis de quinze à vingt ans de prison.
L’efficacité de la mesure est déjà discutée au sein même de l’UMP. Ainsi, Jean-Paul Garraud, secrétaire national de l’UMP à la justice, craint-il que la présence de jurés populaires en première instance ne ralentisse considérablement le rythme de jugement, au risque de « paralyser le système ».
LES MAGISTRATS SONT OPPOSÉS À LA RÉFORME
Cette réforme, qui devrait entrer en vigueur progressivement à partir de début 2012, fait la quasi-unanimité contre elle dans la magistrature. Les syndicats y voient une mise en cause implicite des juges et doutent de sa faisabilité matérielle. Ces formations « mixtes » jugeraient les délits d’atteintes graves aux personnes, comme les agressions sexuelles, les vols avec violence, les extorsions, certains homicides involontaires et certaines dégradations.
Alors qu’il faudra indemniser les jurés, les syndicats de magistrats dénoncent une justice exsangue et rappellent que la commission européenne pour l’efficacité de la justice a classé en 2010 le budget de la chancellerie au 37e rang européen, derrière l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Selon le ministre de la justice, cent cinquante-cinq magistrats et cent huit greffiers devraient être recrutés d’ici à 2014.
Le garde des sceaux devra également résoudre des problèmes d’ordre juridique : les jugements en correctionnelle sont rédigés durant un délibéré, et motivés obligatoirement en droit et en fait, avec le risque d’une nullité de forme. Le projet prévoit que les tribunaux « mixtes » délibéreront immédiatement après le procès, pour décider de la culpabilité et de la peine éventuelles, mais que les magistrats rédigeront ensuite seuls le jugement.
Enfin, les magistrats s’inquiètent de l’arrivée des jurés dans les tribunaux d’application des peines. Cette mesure risque de mettre fin aux libérations de détenus, considérées par les magistrats comme la meilleure arme antirécidive.