Jurés d’assises, une expérience éprouvante

Le documentaire « Intime conviction. Les jurés face au doute », réalisé à la cour d’assises de Troyes, est diffusé mardi sur France 2 à 22 h 30.

 

Devant la cour d’assises, rien n’est « tout blanc » ou « tout noir ». Le récit de la victime n’est pas toujours crédible, celui de l’accusé non plus. Les jurés font avec. Mais alors que, d’instinct, ils ont tendance à se placer du côté de la victime, l’accusé réussit à semer le doute. Qui croire ? Schéma classique, crime ordinaire. Le documentaire Intime conviction. Les jurés face au doute, réalisé par Éléonore Manéglier Dessenne, est diffusé mardi soir sur France 2 à 22 h 30.

 

Sur les marches du palais de justice de Troyes, Me Colomès discute avec son client, accusé de viol. Quelques mètres plus loin, la victime converse avec une amie. Seul l’avocat garde son sang-froid. Les nerfs des trois autres lâchent : tableau des passions humaines. « Il est pas là ? » panique la victime, en larmes. Son amie la calme. La victime, tandis qu’elle fume – ils fument tous -, a la main qui tremble, les ongles rongés, une alliance au doigt qui ne lui inspire que du dégoût. Elle a honte d’être impliquée dans une affaire de viol (une fellation contrainte dans un parking) alors qu’elle est mariée et mère de famille. « Je me considère comme une salope », lâche-t-elle un peu plus tôt à son avocate.

 

À bout de nerfs

 

Contrainte de déballer sa vie, la victime est éprouvée. Les faits n’ont duré qu’une heure et demie, mais c’est toute son intimité qu’elle doit étaler en public. Entre deux crises de larmes, elle s’interroge : A-t-elle bien fait de porter plainte ? N’aurait-elle pas dû se murer dans un silence humiliant ? Le box vitré, où les accusés détenus sont censés s’asseoir, est vide. Le mis en cause comparaît libre, aux côtés de son avocat. Il est sous contrôle judiciaire depuis cinq ans, à bout de nerfs : « J’y pense en me levant, en dormant, en prenant ma douche », raconte-t-il.

 

Tirage au sort, les jurés entrent dans la salle d’audience. « Les femmes ont tendance à être plus magnanimes », croit Me Colomès. Une ancienne jurée, interviewée par Éléonore Manéglier Dessenne, confirme : « Les hommes jurés sont plus intolérants. » L’avocat général, lui, se méfie des stéréotypes. Dans des affaires comme celle-là, parole contre parole, « ce sont les variations dans les déclarations de l’accusé qui vont emporter les convictions des jurés », assure-t-il.

 

Des mots crus

 

Les jurés angoissent devant leur responsabilité : envoyer ou non un homme en prison. Dans la chambre où ils se retirent à chaque suspension d’audience, aucune considération juridique. Eux sont là pour juger selon leur « intime conviction ». Ils se laissent volontiers guider par le président du tribunal, Gilles Latapie, fin pédagogue. Ils ne connaissent rien au droit. Et s’intéressent dans un premier temps à la corpulence de l’accusé et aux sanglots de la victime. « Les mots crus, les scènes crues, ne sont pas forcément agréables à entendre », témoigne une jurée.

 

Me Colomès croit en l’innocence de son client et plaide pour une relation sexuelle consentie. Il arrive que des « histoires banales et peu romantiques » se transforment « en quelque chose de plus sordide encore », détaille-t-il. Un jeu de séduction existait entre son client et la victime. « Et si cette dernière n’avait porté plainte que pour apaiser sa culpabilité ? » se demande l’avocat. Il recommande à son client la franchise : « On n’est pas là pour noyer le poisson », s’agace-t-il. Les heures défilent, la tension monte. De chaque côté de leur banc, les parties s’échauffent. Une jurée résume : « À tout moment, ça peut basculer. »

 

Par MARC LEPLONGEON

source : LePoint.fr
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