Pour le syndicat FO-Magistrats, le projet de loi Urvoas « place la justice sous le contrôle du ministère de l’Intérieur et des services de renseignements ».
Le Point.fr : Perquisitions de nuit, écoutes téléphoniques, recours aux Imsi-catchers (matériel d’espionnage téléphonique)… Si la loi Urvoas est votée, le procureur aura désormais, pour les affaires les plus graves, des pouvoirs presque identiques à ceux des juges d‘instruction. Qu‘en pensez-vous ?
Jean de Maillard : C’est un projet qui tue le juge d’instruction. Il était déjà dans un état de coma avancé, le voilà désormais en état de mort clinique. Pour les affaires les plus graves, le gouvernement veut donner au parquet tous les pouvoirs d’investigation du juge d’instruction. Depuis des années, les affaires qui lui étaient confiées étaient déjà en déclin constant. Selon les chiffres officiels, seules 2 à 3 % des affaires pénales sont confiées au juge d’instruction. Selon nos calculs, et si on prend l’ensemble des enquêtes, ce chiffre descend plutôt à 0,4 %. La vérité, c’est que les juges d’instruction n’ont plus qu’un rôle résiduel dans le fonctionnement de la justice.
En quoi est-ce un problème ?
Le parquet est devenu le centre de gravité du fonctionnement de la justice. Les tribunaux, submergés, sont de moins en moins saisis. Seules 30 % des affaires traitées par le parquet sont renvoyées devant les tribunaux pour être débattues selon un mode de jugement traditionnel. Tout le reste suit des voies non conventionnelles : décisions de classement, conciliations, plaider-coupable et même, depuis la loi Taubira d’août 2014, des transactions pénales (les policiers proposent de solder un litige en contrepartie d’une amende). Le parquet devient le deus ex machina de la justice. Mais doit-on rappeler qu’il est hiérarchisé et, en l’absence d’une réforme constitutionnelle, dépendant de l’exécutif ?
On comprend les risques de pressions dans les affaires politico-financières… Mais, en matière de terrorisme ou de criminalité organisée, quelles pourraient être les dérives ?
Depuis 2009 et la création des états-majors de sécurité, les tribunaux et les parquets ont été en quelque sorte placés sous la tutelle des préfets. Le procureur doit désormais rendre compte au préfet de ce qu’il fait et comment il mène sur un territoire donné la politique pénale qu’il met en œuvre. Ces états-majors peuvent même surveiller eux-mêmes des condamnés déjà suivis par le juge de l’application des peines. Cette évolution a été entérinée par un décret d’octobre 2015, que FO-Magistrats a attaqué devant le Conseil d’État. En clair : le ministère de la Justice est en train de passer sous le contrôle du ministère de l’Intérieur et des services de renseignements.
Comment cela se traduit-il concrètement ?
Lorsque la DGSI, par exemple, souhaite faire une écoute administrative, c’est-à-dire sans contrôle du juge judiciaire, elle doit solliciter l’autorisation du Premier ministre après l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), laquelle peut saisir le Conseil d’État pour faire interrompre ou détruire une écoute. Contrairement aux autres syndicats, nous considérons chez FO que ce contrôle est satisfaisant. Mais nous avions demandé en vain que cette compétence purement administrative n’empiète pas sur les enquêtes qui doivent être menées par la justice. Car aujourd’hui, ce qui va se passer, c’est que, si la DGSI souhaite demander des écoutes, elle aura tout intérêt à s’adresser directement au parquet. Elle dira qu’il y a une menace d’attentat, présentera éventuellement une note blanche peu étayée et affirmera qu’il est indispensable de mettre telle ou telle personne sur écoutes. Le procureur, qui n’a pas accès aux informations classées « confidentiel défense » ou « secret Défense », sera obligé de la croire quasiment sur parole. Quant au contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) qui doit délivrer l’autorisation, il est largement théorique. Le JLD n’a aucune garantie statutaire. Il décide seul sur des points ponctuels de l’enquête, sans connaître l’entier dossier, dans l’urgence et sans contradictoire. Pour finir, l’enquête du procureur peut rester entièrement secrète et il n’existe aucun contrôle de légalité de ses actes. C’est la porte ouverte à tous les abus.