Avocate
On sait que l’avocat belge d’Abdeslam a été pris violemment à partie au point que ses enfants aient dû être escortés à l’école. Alors pourquoi Franck Berton accepte-t-il de défendre Salah Abdeslam ? Les portraits de l’avocat se succèdent dans les médias, s’interrogeant sur sa personnalité : qui peut-il être pour accepter cette défense et qu’a-t-il à y gagner ? Cette question est déjà une violence à la profession. Comme s’il fallait absolument gagner quelque chose à exercer son métier.
L’avocat, garant d’une société démocratique
Il faudrait probablement retourner la question : que gagne la société à ce que les avocats défendent les Abdeslam ? Elle gagne à pouvoir s’appeler une démocratie.
Il y a quelques jours, un survivant d’Utoya se félicitait de ce que la Norvège ne puisse pas traiter Anders Breivik de façon dégradante. Le survivant disait sa foi en une justice capable de punir sans pour autant déshumaniser :
« Breivik ne parvient pas à changer la manière dont moi, comme toute ma nation, traitons nos compagnons du genre humain – dont Breivik lui-même fait partie ».
Si personne ne demande à une victime d’être capable d’un comportement aussi remarquable que ce survivant, en revanche, il faut exiger de notre société qu’elle assure un traitement humain et un procès équitable à tous ses justiciables, sans aucune exception. C’est le rôle de l’avocat, garant d’une société démocratique. Voilà sur quoi crache ceux qui ont craché sur Sven Mary et ceux qui commencent probablement à menacer Berton.
Sans avocat pour Salah Abdeslam, nous ne serions simplement plus dans un Etat de droit, alors pourquoi tant de fausses questions sur les motivations des avocats et jamais cette réponse ?
Cette réalité que l’avocat éprouve tous les jours
Il est vécu comme primordial que Salah Abdeslam s’exprime. Pour preuve confondante, l’administration pénitentiaire a mis en place un régime particulier pour qu’il ne se suicide pas. Tout le processus du jugement, jusqu’à la condamnation finale, est essentiel aux victimes et à l’ensemble des citoyens.
Est-ce nécessaire de rappeler que ce processus est impossible sans le travail âpre et en l’occurrence ingrat de l’avocat ? Pour quelles raisons le citoyen est-il aussi défiant à l’encontre de l’avocat ? N’exprime-t-il pas plutôt une défiance contre la loi ? Une défiance qui ne se dit pas sauf avec des injures ?
Franck Berton ne va pas justifier le crime, il agira dans le cadre de la loi, examinera le respect de la procédure applicable, assurera le caractère contradictoire de l’affaire, évoquera peut-être les raisons intimes qui ont conduit un homme au chaos et qui ont permis ce chaos total. Mais qui veut entendre la nécessité de respecter des règles pour Salah Abdeslam ? Et qui veut entendre le chaos interne d’Abdeslam ?
Ce qu’Abdeslam dira sera insuffisant, douteux, taché de sang et totalement inaudible pour la société qui ne souhaite pas se confronter à cette réalité que l’avocat éprouve tous les jours : les criminels sont des êtres humains.
L’honneur qui fait notre profession
Garant démocratique, nous gagnons l’honneur qui fait notre profession quand nous défendons aussi les Abdeslam. Comme le chirurgien qui ne se défile pas devant l’intervention difficile. Et nous gagnons le même honneur en défendant leurs victimes.
Bien sûr que Franck Berton n’a pas seulement choisi cette défense pour l’honneur de la profession, il est bien placé pour savoir qu’il n’y a jamais une seule raison pour un acte – et qu’il y a parfois même des raisons obscures, obscures jusqu’à soi-même. Il bénéficiera d’une certaine médiatisation dont il ne sera aucunement responsable et qu’on lui reprochera. Il gagnera de l’argent mais, contrairement aux idées reçues, probablement assez peu. Il y perdra aussi quelques plumes comme Jacques Vergès qui expliquait avoir perdu ses clients institutionnels, lesquels ne voulaient pas voir leur nom associé à ceux des criminels défendus.
On peut se demander si mon Confrère Berton fait un choix moral en défendant Abdeslam. Ce choix, qui n’est pas un choix moral mais un choix de positionnement, il l’a fait il y a bien longtemps, le premier jour où il a revêtu sa robe d’avocat pour prêter serment. Car nous sommes des auxiliaires de justice et jurons, « comme avocat, d’exercer (nos) fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Par son serment, l’avocat s’engage notamment à rendre l’humanité et la dignité à ceux qu’il va défendre. Rendre l’humanité, on espérerait que c’est un pouvoir de juge. Ce n’est qu’un devoir d’avocat.
Est-ce donc du courage de défendre Abdeslam ? En tous cas c’est un métier.