«Je ne vois pas l’intérêt de bégayer notre législation après chaque fait divers»

Article de Sonya Faure paru sur Libération.fr le 6 septembre 2010


Cet après-midi, Nicolas Sarkozy a confirmé, lors d’une réunion à l’Elysée avec François Fillon et les ministres concernés par les questions de sécurité, les amendements qui transcriront, en droit, les envolées sécuritaires du discours de Grenoble, le 30 juillet dernier.


Peines de prison incompressibles de 30 ans pour les assassins de policiers et gendarmes, extension des peines planchers pour les violences aggravées (c’est à dire commises en réunion ou à l’encontre d’une personne vulnérable ou d’un représentant de la force publique), port du bracelet électronique à l’issue de la peine de prison pour les récidivistes, convocation directe des mineurs récidivistes devant le tribunal pour enfant… ces amendements seront discutés au Sénat demain mardi après-midi, dans le cadre de la loi Loppsi 2 (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure), adoptée en première lecture à l’Assemblée en février.


Mais l’inflation sécuritaire du gouvernement passe mal, même auprès de certains sénateurs de droite. Et ceux-ci pourraient modifier radicalement les amendements proposés, si on en croit Jean-René Lecerf, spécialiste, à l’UMP, des questions de justice et de sécurité.


Que pensez-vous des amendements proposés par le gouvernement et qui seront ajoutés à la Loppsi 2 que vous examinez demain?


Il y a déjà une méthode qui me heurte: il serait bon que le gouvernement n’ait pas à ajouter sans cesse des amendements à la dernière minute et un peu à l’emporte pièce à son propre projet de loi en cours d’examen par les parlementaires. Sur un certain nombre d’entre eux, il y aura de fortes réticences, y compris parmi les sénateurs UMP. Nous sommes particulièrement intransigeants en matière de défense des libertés. Nous pouvons, à notre tour, déposer des amendements, plus humanistes que sécuritaires…


Surtout, il ne faut pas oublier que s’il ne rallie pas les sénateurs centristes et ceux du RDSE (Rassemblement démocratique et social européen), qui à mon avis seront réticents aux nouveaux amendements, le groupe UMP n’est pas majoritaire au Sénat…


Faut-il étendre les peines planchers?


Je suis extrêmement favorable à un principe de droit constant: celui de l’individualisation des peines. Et je fais confiance aux magistrats. Moins il y a de peines planchers, mieux on se porte.


Et les 30 ans incompressibles pour les tueurs de policiers?


Même chose. Je suis de ceux qui croient que notre arsenal répressif est amplement suffisant. D’ailleurs, la rétention de sûreté (votée en 2008, elle vise à maintenir enfermés les détenus en fin de peine s’ils présentent un risque élevé de récidive, ndlr) est quasi totalement inappliquée: il n’y a aujourd’hui aucune personne en rétention de sûreté et à ma connaissance une seule personne a été placée en surveillance de sûreté (qui prévoit par exemple une obligation de soins ou l’interdiction de paraître en certains lieux à l’issue de la peine, ndlr).


Montesquieu disait qu’il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante… Je ne vois pas l’intérêt de bégayer notre législation après chaque fait divers, si horrible soit-il. Lors du débat sur l’encellulement individuel, dans la loi pénitentiaire, et lors de la discussion de la loi contre la récidive, à l’automne dernier, c’est la vision du Sénat qui l’a chaque fois emporté. La seule fois où nous n’avons pas été écoutés, c’était sur la non rétroactivité de la rétention de sûreté. Finalement, c’est le conseil constitutionnel qui s’y est opposé.

source : Libération.fr
Partagez :