Par Alibi Montana
Rappeur et ex-détenu
LE PLUS. Alibi Montana, rappeur qui s’est fait connaître avec son album « 1260 jours » – le temps de sa détention –, n’est plus le même homme. Comment a-t-il vécu sa sortie de prison ? Après deux passages en détention, il a dû se réadapter à la société. Le plus difficile ? Réussir à s’endormir sans entendre des bruits de clés. Il témoigne.
Édité et parrainé par Louise Auvitu
J’ai grandi à La Courneuve, dans la cité des 4.000, avec mes parents et mes frères et sœurs. Vers 18 ans, j’ai commencé à traîner dans la rue, à vivre de petits larcins ; ce qui allait me mener vers la détention.
La première fois que j’ai mis les pieds en prison, je devais avoir une vingtaine d’années. Cette peine, je l’ai purgée à Fleury-Mérogis en 1999. J’avais été condamné pour coups et blessures et j’ai fait sept mois de détention.
Je me souviens que ça a été rude, brutal. D’un coup, j’étais coupé de tout. Plus de consoles de jeux, plus de soirées entre potes, plus de coups de téléphone, plus de petits plats de maman… Personne n’est préparé à perdre sa liberté du jour au lendemain.
Quand on arrive en prison, il vaut mieux « fermer sa gueule »
J’ai néanmoins eu la chance de tomber dans le bâtiment D2 de la prison. J’ai donc retrouvé des anciens de La Courneuve et ils m’ont tout de suite protégé. Grâce à eux, j’ai eu la possibilité de recevoir de la nourriture et bien d’autres choses.
Je me souviens qu’à mon arrivée, j’ai vu certains détenus se faire complètement dépouiller. C’est une sorte de rituel quand on arrive dans une prison. Les plus anciens vous reluquent de la tête au pied, repèrent vos baskets, votre blouson, puis s’approchent des nouveaux pour leur réclamer. Vous avez plutôt intérêt à donner vos affaires si vous ne voulez pas être tabassé.
En voyant ça, je n’avais qu’une envie : dénoncer cette violence gratuite. Mais on m’a vite fait comprendre que si je faisais ça, je serais catalogué comme une « balance ». Je devais « fermer ma gueule ».
Si je n’avais pas eu de contacts à l’intérieur, c’est moi qui aurais été dépouillé.
En sortant, j’étais une sorte d’Al Pacino
Ces sept mois sont passés finalement vite. J’ai suivi les autres. Avec eux, j’ai construit une carapace. J’ai fait des pompes, de la musculation, pour montrer que j’étais un « dur », un bonhomme. Je suis sorti assez baraqué, mais inchangé dans ma tête.
Une fois dehors, je n’avais pas une idée précise de ce que je voulais faire de ma vie. Dans le quartier, j’ai retrouvé mes potes et d’autres qui, parce que j’avais été en prison, pensaient que j’étais le « roi des gangsters », que parce que j’avais « tenu », j’étais une sorte d’Al Pacino. Finalement, la prison, ça a plutôt bonne réputation. J’avais beau tenter de rétablir la vérité, on ne m’écoutait pas.
À la sortie, j’ai vu quelques agents de probation, mais très sincèrement, ils ne m’ont absolument rien apporté. J’avais juste à me pointer, signer un papier et repartir.
Avec le recul, j’ai l’impression que ce premier séjour en prison n’a eu aucun impact sur ma vie, aucune remise en question. La prison, ce n’est agréable pour personne. Mais c’est certain, que par rapport à d’autres, j’ai eu de la chance.
Condamné à 6 ans pour tentative d’homicide
En sortant, j’ai retrouvé ma famille. Je suis d’origine haïtienne, et il est vrai que c’est assez mal vu de faire de la taule chez nous. J’ai été décrié par certains proches qui avaient peur que j’aie une mauvaise influence sur leurs enfants, notamment sur mes cousins.
Je savais que dorénavant, j’avais un casier judiciaire, mais j’étais persuadé que ce que j’avais fait n’était finalement pas si grave, qu’il y avait pire que moi.
En réalité, j’ai pris conscience de la gravité de mes actes à ma deuxième condamnation, en 2000. J’étais mouillé dans une affaire de trafic de stupéfiants qui a mal tourné. Pour me défendre, j’ai fait usage d’une arme à feu et j’ai blessé grièvement une autre personne.
Après plusieurs mois de cavale, je me suis fait pincer et je me suis retrouvé aux assises. C’était une autre ampleur, le juge, l’ambiance, la peine… je savais que je risquais gros.
J’ai été condamné à six ans de prison pour tentative d’homicide.
Avaler un Mac Do, faire l’amour et c’est déjà la fin
Quand j’ai entendu la condamnation, je me suis effondré. Je ne faisais plus le dur à cuire, mais je devais tenir le coup pour mes proches.
Je me souviens que j’avais aussi beaucoup de mal à supporter l’idée d’être en promenade avec d’autres détenus, de me rapprocher d’eux, peu importe leurs peines, puis d’apprendre un jour que celui qui paraissait le plus fort mentalement s’était suicidé. Je réalisais alors que personne n’était à l’abri de craquer. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas.
Ma première permission d’une journée a été une course contre la montre. Je devais tout faire à cent à l’heure. J’avais des rendez-vous avec mon agent de probation, un autre d’orientation, que de l’administratif. Au final, il me restait que quelques heures, le temps d’avaler un Mac Do, des glaces, faire l’amour… Je voulais tout faire à la fois.
Au final, j’ai fait 1260 jours d’incarcération à Villepinte. J’ai obtenu mon aménagement de peine en 2003.
Être libre, c’était comme une renaissance
Pendant huit mois, j’étais sous le régime de semi-liberté. Chaque soir, avant 20 heures, je devais rentrer dans un centre, j’avais ma chambre, une sorte de cellule un peu plus confortable. La journée, je travaillais comme coursier.
Plus tard, je suis passé en conditionnelle. Je pouvais enfin rentrer chez moi. S’asseoir sur un banc, passer du temps dans une salle de bain, aller et venir à ma guise… Tout me semblait fantastique. Aller au cinéma, voir les lumières s’éteindre et le film démarrer, c’était comme gagner un voyage à l’Ile Maurice. Rien à voir avec la micro télévision pourrie que je partageais avec des codétenus. Au début, on prend plaisir à tout.
Mes premières vacances étaient inimaginables. Je me souviens que je regardais tout bizarrement. Je scrutais les objets, sans rien dire.
Être libre, c’était comme une renaissance.
La prison a aussi eu des répercussions sur ma famille
Et puis, évidemment, je me suis rendu compte à quel point les choses avaient changé : de nouveaux téléphones, des voitures dernière génération, et même l’euro. Nous étions passés du franc à l’euro en mon absence !
La prison m’a marqué dans ma chair, mais elle a aussi eu des répercussions sur ma famille. Alors que j’étais incarcéré, il y a eu des décès et des naissances. Quand je suis sorti, mon fils avait quatre ans !
Je n’ai pas eu de souci pour trouver un logement, puisque j’avais ma compagne, mais nos relations étaient parfois difficiles. Quand je suis sorti de prison, j’ai réalisé que ma femme elle aussi avait beaucoup souffert. Les parloirs, les fouilles, ça demande beaucoup d’effort de la part des proches.
On a fini par se séparer. Pas qu’à cause de la prison, mais il est certain que cela a joué.
Il m’a fallu 4 ans pour me réadapter à la vie normale
En fait, je n’ai pas vraiment rencontré de problèmes à ma sortie. Le souci venait plutôt de moi-même : il était très difficile de se réadapter.
En prison, mes semaines étaient rythmées par des interdictions et un planning strict. Il y avait des jours pour ceci, d’autres pour cela. Là, j’étais libre, mais j’avais encore des automatismes.
Le soir, avant de me coucher, j’entendais toujours des clés. Je m’imaginais le surveillant de prison fermer ma cellule. J’ai eu beaucoup de mal à dormir, j’ai même pris des somnifères pour y arriver. J’en avais honte.
Quand j’allais prendre ma douche, j’avais du mal à réaliser que personne n’allait me chronométrer, que je n’allais pas me retrouver du shampoing plein la tête sans pouvoir me rincer. Des images me venaient comme des flashbacks.
Avec le recul, je crois qu’il m’a fallu quatre ans pour totalement sortir de cet état d’esprit.
Mon album a été ma thérapie
Le processus de réinsertion n’a eu aucune efficacité sur moi. Bien sûr qu’il faut aller aux différents rendez-vous, mais les agents ne sont pas munis d’une baguette magique. Peut-être que ça marche pour certains, mais j’en doute. J’ai tellement vu de codétenus qui ont replongé.
Mon album de rap, « 1260 jours », qui ne parlait que mon séjour en prison, m’a permis de rebondir. Ça a été un peu ma thérapie. Sans lui, peut-être que j’aurais mal tourné. Peut-être faudrait-il mettre en place un vrai suivi psychologique pour les anciens détenus ?
Pour tourner la page, il n’y a pas 36.000 solutions : il faut compter sur soi-même, s’armer de courage et ne jamais lâcher le morceau.
Aujourd’hui, je réfléchis plus, je suis plus instinctif, plus calme. C’est sûr, je ne suis plus le même homme.
Propos recueillis par Louise Auvitu