La Croix a rencontré Isabelle Gorce, directrice de l’administration pénitentiaire, responsable de l’institution qui sera chargée de mettre en œuvre les deux principales mesures de la réforme pénale.
La principale mesure de la réforme pénale, la création de la contrainte pénale, repose sur vos épaules. Avez-vous les moyens des ambitions de la ministre ?
Isabelle Gorce : Pour la pénitentiaire, la réforme est un chantier colossal. Le gouvernement a annoncé la création de 1 000 postes, sur trois ans, dans nos services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). C’est beaucoup. L’objectif est d’arriver à 40 dossiers de contraintes pénales par conseiller, mais en réalité, on est un peu dans l’inconnu car nous ne savons pas comment les juges vont s’emparer de la contrainte pénale. Tout dépendra du contenu que nous leur proposerons.
Cette nouvelle peine devra être une alternative à la prison aussi contenante que l’enfermement. Il faut la définir et l’individualiser. Cela passera notamment par l’évaluation de la situation du condamné. Nous avons un an pour mettre au point un nouvel outil d’évaluation de sa situation sociale, familiale et du risque de récidive. Mais en réalité, pour obtenir un outil validé scientifiquement, il nous faudra aux moins deux ans.
Beaucoup de personnes craignent des défauts dans le suivi des condamnés et donc une augmentation de la récidive. Que leur répondez-vous ?
I. G. : Il est normal que la récidive fasse peur. C’est un problème extrêmement complexe. On voudrait que les gens comprennent leurs erreurs à la première sanction. Mais il faut que la société accepte le fait que sortir de la délinquance prend du temps et que la prison n’est pas toujours la solution. La détention est une rupture sociale, familiale, professionnelle. Elle est parfois utile quand elle permet de marquer le coup, mais elle suffit rarement. Il faut que la personne reconstruise un projet de vie.
Actuellement, la peine de référence, en milieu ouvert, est le sursis avec mise à l’épreuve. Cette mesure est à bout de souffle car elle est à la fois trop peu contenante pour le condamné et trop rigide, avec le couperet de la prison en cas de non-respect. Tout l’intérêt de la contrainte, telle qu’elle est envisagée, repose sur sa souplesse : le juge pourra renforcer ou relâcher le contrôle sur le condamné, adapter le contenu et le mettre en prison s’il ne se conforme pas aux obligations prescrites. La détention, alors, ne sera qu’une étape dans un parcours plus global.
Vous devrez aussi assumer l’autre mesure phare de la réforme : la sortie des détenus aux deux tiers de la peine.
I. G. : En effet. Le juge d’application des peines devra obligatoirement examiner les dossiers des détenus condamnés à moins de cinq ans de prison et qui auront exécuté les deux tiers de la peine, en vue de leur éventuelle sortie. C’est une révolution pour nous dans la mesure où actuellement, l’administration compte sur la volonté et la détermination des détenus pour préparer cette sortie. Or beaucoup d’entre eux ne sont pas dans cette démarche. Nos services vont devoir aller chercher ces gens et construire avec eux leur projet d’avenir. Là aussi, c’est une tâche colossale mais essentielle car on sait que les sorties sèches, non préparées, non encadrées, présentent un fort risque de récidive.
Près de 88 000 personnes sortent chaque année de prison. Aurez-vous les moyens d’en accompagner autant ?
I. G. : Pour être juste, il faudrait exclure de ce chiffre non seulement les prévenus et les sorties de condamnés à plus de cinq ans de prison, mais aussi ceux qui bénéficient d’ores et déjà de la possibilité de sortir à mi-peine, en aménagement de peine. La sortie aux deux tiers concernera néanmoins beaucoup de détenus, et probablement les plus désocialisés d’entre eux, ceux qui se sont laissés aller à la passivité de la détention. Cela demandera donc une forte mobilisation de nos services.