« Il faut supprimer les peines planchers »

Après la polémique qui a opposé le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, et sa collègue de la justice, Christiane Taubira, Jean-Pierre Sueur, le président (PS) de la commission des lois du Sénat, se réjouit que le premier ministre ait annoncé que le projet de loi sur la réforme pénale serait présenté « courant septembre » en conseil des ministres.

 

Une réunion interministérielle devrait, le 30 août, fixer les derniers arbitrages, avant l’envoi du texte au Conseil d’Etat. Le 25 juillet, dans un courrier au président de la République, M. Valls avait fait état de vifs désaccords avec le texte de la garde des sceaux et s’interrogeait sur « la soutenabilité politique » du projet. M. Sueur estime que le Parlement doit examiner le texte avant les municipales de mars 2014.

 

Que pensez-vous de la controverse entre les ministres de l’intérieur et de la justice ?

 

Il ne s’agit pas de trancher entre la sécurité et la justice, nous sommes évidemment attachés à l’une et l’autre. Une bonne justice contribue fortement à la sécurité publique, mais on ne peut pas se contenter de dire qu’il y a un débat naturel entre deux ministres et que tout va bien. C’est pourquoi il est très positif que le premier ministre ait annoncé que le projet de loi pénale serait présenté en conseil des ministres dès septembre.

 

Est-il politiquement envisageable que le Parlement examine le texte avant les municipales ?

 

Je ne parviens pas à penser que l’ambiguïté ou, de fait, le refus de trancher, seraient bénéfiques, y compris par rapport aux futurs enjeux électoraux. C’est l’ambiguïté et le non-choix qui ouvrent la porte à toutes les caricatures et à tous les fantasmes. Le Parlement devra être saisi du texte sans tarder, il est le lieu naturel du débat. Comme l’a dit mon ami Jean-Jacques Urvoas, le président de la commission des lois de l’Assemblée, la procédure accélérée n’est pas opportune sur ce texte. J’ajouterai : l’enlisement non plus.

 

Sur le fond du texte, faut-il supprimer les peines planchers pour les récidivistes ?

 

Il faut supprimer les peines planchers. Nous les avons tellement dénoncées – j’ai en mémoire les plaidoyers de Robert Badinter – qu’il serait incompréhensible de ne pas le faire. Faisons confiance aux magistrats qui ont pour mission de décider des peines et de leurs modalités dans le respect de la loi. Cela vaut pour les juges d’application des peines comme pour tous les magistrats.

 

Par ailleurs, la situation pénitentiaire est une cause majeure de récidive. Faut-il rappeler les nombreux rapports du Sénat qui le disent et le redisent ? Et contrairement à ce qu’on a cherché à faire croire, peine ne signifie pas détention. Le développement des peines alternatives est une absolue nécessité. Ce n’est pas parce que les prisons sont surpeuplées et au bord de l’explosion que l’on est davantage en sécurité. Si la récidive augmente, l’insécurité augmente. Il faut donc que soient en prison ceux qui doivent y être, et que l’ensemble des personnels qui y interviennent – et dont le travail doit être salué – puissent préparer la réinsertion des détenus.

 

Faut-il favoriser les libérations conditionnelles, comme le souhaite la garde des sceaux ?

 

Les « sorties sèches » sont toujours une erreur qui peut être lourde de conséquence. Sortie sèche, cela veut dire qu’un détenu libéré se retrouve sur le trottoir, sans emploi, sans logement, sans possibilité d’insertion, sans accompagnement social, souvent en rupture familiale et affective. Pour qu’il en aille autrement, il faut accroître les moyens des services d’insertion et de probation et mieux mobiliser et coordonner tous les services publics. Il en va de même pour développer les peines alternatives. Un effort conséquent est déjà fait, puisque 300 conseillers d’insertion et de probation sont prévus dans la loi de finance pour 2014. L’effort devra être poursuivi.

 

Estimez-vous, comme le ministre de l’intérieur, que la conférence de consensus sur la prévention de la récidive est « un socle de légitimité fragile » ?

 

La conférence de consensus organisée par Christiane Taubira est une démarche sans précédent dans notre pays et, contrairement à ce qui a été dit, toutes les approches y ont eu leur place. Il y a le rapport du député PS Dominique Raimbourg sur la surpopulation carcérale, les réflexions du sénateur UMP Jean-René Lecerf, celles de Pierre Joxe sur la justice des mineurs, celles des organisations professionnelles… Il y a, enfin, les rapports de Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, d’une clarté limpide. Tout est donc sur la table. La seule réticence tient, au fond, aux présupposés selon lesquels plus il y a d’enfermement, plus il y a de sécurité. C’est pour beaucoup une évidence. Mais c’est une fausse évidence. Mieux vaut dire la vérité et en tirer les conséquences, comme le fait courageusement la garde des sceaux.

 

Franck Johannès

source : LeMonde.fr
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