Le collectif «Liberté, égalité, justice», qui rassemble plusieurs organisations du milieu judiciaire, espère que le gouvernement défendra une réforme pénale ambitieuse face à la vision sécuritaire de la droite.
Balayer contrevérités et idées reçues. A la veille de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de réforme pénale, le collectif «Liberté, égalité, justice» (Clej) tenait une conférence de presse ce lundi, avec un double objectif : «Faire en sorte que l’opinion publique ne se fasse pas enfumer par de faux arguments et peser sur les parlementaires de la majorité», résume Jacques Montacié, secrétaire général de la Ligue des droits de l’Homme. Créé en 2008 pour lutter contre «la régression sécuritaire» des années Sarkozy, réactivé l’an passé face aux atermoiements de la majorité socialiste à mener une «réforme pénale audacieuse», le Clej (1) sait que les prochains jours seront décisifs.
Les parlementaires oseront-ils inverser la tendance des dix dernières années, en l’occurrence «l’aggravation du régime pénal et une plus grande carcéralité» ? «Il faut que la réforme portée par Christiane Taubira aille le plus loin possible et remette au cœur des procédures l’exigence de réinsertion», espère Jacques Montacié. La partie est loin d’être gagnée. La droite, derrière son orateur Georges Fenech, a déjà commencé à fourbir ses armes. «Angélique», «laxiste», voire «idéologique», le projet de loi ne viserait rien de moins qu’à «vider les prisons».
LA MAJORITÉ SOUS PRESSION
La gauche elle-même n’est pas au mieux. La semaine dernière, François Hollande a recadré sa garde des Sceaux, coupable d’avoir laissé passer en commission des lois un amendement contraire à l’équilibre trouvé avec Manuel Valls l’été dernier.
Un contexte rendu d’autant plus explosif par l’arrestation de Mehdi Nemmouche, suspecté d’être responsable de la tuerie du musée juif de Bruxelles. L’affaire a inspiré ce tweet à Georges Fenech : «Avec la réforme pénale de Madame Taubira, les candidats au jihad seront éligibles à la contrainte pénale.»
«Il faut s’extraire de ce mode de pensée autour des faits-divers, répond Olivier Caquineau, du Snepap-FSU, syndicat de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Pourquoi ne pas plutôt s’intéresser à toutes les personnes pour qui les aménagements de peines ont fonctionné, qui n’ont pas récidivé et ont repris leur place dans la société ?»
Tel est le cœur de l’argumentaire des membres du Clej : la prison n’est pas la solution la plus efficace pour lutter contre la récidive. «La justice a beau être de plus en plus sévère, ça n’empêche pas les faits-divers», explique Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature (classé à gauche). L’ancienne juge d’instruction se félicite de la suppression des peines planchers pour les récidivistes créées sous Nicolas Sarkozy pour revenir au principe d’individualisation.
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La contrainte pénale, nouvelle peine en milieu ouvert prévue pour les délits, satisfait également ces professionnels de la justice. «Cela va déplacer le centre de gravité de la prison vers la probation», estime Olivier Caquineau. Il balaie les craintes de peine au rabais : «Ce n’est pas un cadeau fait au justiciable», affirme-t-il. Sarah Silva-Descas, de la CGT pénitentiaire, appuie : «La prison est certes plus restrictive, mais elle n’exige rien du détenu. L’aménagement de peine, c’est tout le contraire : il faut trouver un emploi, un hébergement, entamer le remboursement des victimes… Cela demande un véritable engagement.»
«ON EST TRÈS LOIN DU COMPTE»
Le projet de loi reste toutefois largement améliorable, selon les membres du Clej. Le gouvernement souhaite ainsi limiter la contrainte pénale aux seuls délits passibles de cinq ans d’emprisonnement. Insuffisant, selon Jacques Montacié. «Il faut avoir le courage de ses idées et permettre d’utiliser ce nouveau dispositif à fond en l’élargissant aux délits passibles de dix ans de prison.»«Sinon, on risque d’empêcher de prononcer cette mesure pour des cas qui seraient pertinents, comme les trafics de drogue, les cambriolages, abonde Françoise Martres. Et n’oublions pas que le juge conservera toute latitude pour prononcer une peine de prison en fonction de la gravité de l’acte.»
Reste une inconnue de taille : quels moyens seront déployés pour rendre effective la contrainte pénale ? Le ministère de la Justice a annoncé un plan de recrutement sur trois ans de 1 000 personnels, dont 600 conseillers d’insertion et de probation (CIP). «On est très loin du compte, regrette Olivier Caquineau. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un CIP doive gérer 100, 150 dossiers. Pour être efficace, il faudrait doubler le corps et passer de 3 000 conseillers à 6 000.»
(1) Le Clej rassemble dix associations et syndicats de professionnels de la justice : l’ACAT, la LDH, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, le Genepi, l’OIP, la CGT PJJ, la CGT pénitentiaire, le Snepap/FSU et le SNPES/PJJ/FSU.