Il est urgent d’élaborer un schéma national de l’aide aux victimes

Dans un entretien au club prévention sécurité, Sabrina Bellucci, directrice de l’Institut national de l’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), constate la baisse des crédits destinés à l’aide aux victimes. Dans ce contexte, elle milite pour l’instauration d’une « contribution victime », payée par les auteurs d’infractions. Elle plaide également pour l’élaboration d’un schéma national de l’aide aux victimes et souhaite que la future politique de prévention de la récidive ne se fasse pas au détriment des victimes.

 

L’Inavem fédère environ 140 associations. Aujourd’hui, quelle est la situation de l’aide aux victimes ?
La situation des associations d’aide aux victimes est actuellement tout aussi compliquée qu’auparavant. Le discours des dix dernières années a été centré sur les droits des victimes sans prendre en considération les modalités d’accompagnement et de réinsertion dont elles ont besoin. De fait, en tant qu’acteur associatif, nous avons été mis entre parenthèse par les pouvoirs publics. Cette façon d’appréhender la victime par le prisme de ses seuls droits est très réductrice et ne résout pas le problème de fond : celui de la prise en charge du traumatisme qu’elles vivent et celui des conditions de l’intervention psycho-sociale des associations.

 

Dans ce contexte, quelles sont vos préconisations ?
L’aide aux victimes est encore aujourd’hui très fluctuante. Il est difficile de l’ancrer dans une réalité nationale et territoriale. La solution est dans la recherche d’une politique équilibrée entre davantage de droits pour les victimes et leur nécessaire accompagnement par les associations. Les victimes ont, certes, une place à acquérir au sein du système judiciaire mais elles doivent faire l’objet d’actions solidaires pour être dans une dynamique d’avenir et de restauration les faisant dépasser cette victimisation.
Ensuite, je pense qu’il est urgent d’élaborer un schéma national de l’aide aux victimes pour guider l’ensemble des acteurs publics et privés, dont nous faisons partie. Nous devons établir un référentiel d’actions a minima, dont l’offre doit être adaptable aux spécificités territoriales. Et puis, nous n’avons toujours pas élaborés des dispositifs concertés sur les territoires en matière d’aide aux victimes. Cela reste un objectif majeur.

 

Les difficultés des associations sont-elles également d’ordre financier ?
Les associations sont aujourd’hui dans une très grande fragilité financière. Leur activité est croissante et les crédits n’augmentent pas. Nous sommes au contraire dans une complète stagnation voire une réduction des financements. Certes, la ligne budgétaire « justice » est constante voire en augmentation mais d’autres financements publics, comme ceux du FIPD et des collectivités territoriales sont en nette diminution. De plus, l’aide aux victimes ne bénéficie pas d’un financement fléché et identifié. Ce qui pose problème. Je crois que nous sommes au bout du système de financement actuel et qu’il faut trouver de nouvelles sources.

 

Une mission confiée à la député Nathalie Nieson (PS) est justement chargée de trouver des solutions ?
La situation est urgente et nous sommes à un tournant. Si l’on considère que l’aide aux victimes est une politique publique importante alors il faut attribuer des moyens pérennes. Nous avons confiance dans la mission confiée en mars dernier par la garde des sceaux à Nathalie Nieson et dont l’objectif est d’identifier les critères d’attribution des financements aux différents réseaux associatifs et de rechercher de nouvelles sources. Nous espérons que ce travail permettra de sanctuariser les financements mais également de réfléchir à l’offre de l’aide aux victimes sur le territoire national. Car le financement n’est que le levier de la mise en œuvre d’une politique publique nationale dont il faut encore définir le cadre d’intervention.

 

L’Inavem a également fait des propositions pour diversifier les sources de financement. Quelles sont-elles ?
L’activité de l’aide aux victimes représente aujourd’hui 28 millions d’euros de financement pour près de 300 000 personnes prises en charge. Nous estimons à 50 millions d’euros celui d’un cadre minimum d’interventions des associations.
Aujourd’hui, l’objectif principal est de pérenniser ce que nous avons déjà. Nous avons donc proposé la mise en place d’une « contribution victime » qui proviendrait soit d’une condamnation par le juge de la personne à payer une sur-amende, soit qui serait constituée par l’affectation d’une partie du produit des amendes forfaitaires à un fonds pour les associations d’aide aux victimes. Je regrette que cette ressource complémentaire soit perçue à tort comme une taxe supplémentaire. Pour nous, la contribution au système d’accompagnement des victimes par celui qui commet une infraction doit être la base d’une action solidaire.

 

Vous avez participé à la conférence de consensus sur la récidive mise en place par la garde des sceaux. Quelle est votre position, alors que l’attention semble davantage portée sur les auteurs d’infractions ?
Il ne faut pas choisir une politique soit en direction de l’auteur soit en direction de la victime. Il est temps de s’occuper des deux de façon équilibrée, globale, complémentaire et non plus en opposition. Nous avons indiqué notre point de vue à la conférence de consensus : ce n’est pas en aggravant le sort des auteurs que l’on prend mieux en compte les victimes.
La conférence de consensus avait intégré l’idée de justice restaurative des victimes. Seulement, nous regrettons que sa place ait été assez faiblement reprise dans le rapport.

 

La lutte contre la récidive est-elle importante pour les victimes ?
Sans doute qu’en développant les mesures alternatives, on se trouve dans une dynamique de restauration des personnes condamnées. Mais il ne faut pas réduire la problématique des victimes à la prévention de la récidive. Il y a autre chose qui se joue. Les victimes souhaitent être prises en compte pour elles-mêmes et pour ce qu’elles ont vécu. Nous craignons la focalisation sur les auteurs au détriment des victimes. Nous espérons qu’une conférence de consensus sur les victimes sera mise en place. Un parallèle est possible : comme pour les auteurs, une politique de réinsertion et de restauration des victimes est nécessaire.

 

Par P. Weil

source : lagazettedescommunes.com
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