Coordinateur du pôle enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP), François Bès décrypte les raisons de la surpopulation carcérale record atteinte en ce mois de juillet. Et alerte sur les conséquences néfastes que pourrait avoir cette tendance à l’incarcération massive.
Avec 69 375 détenusau 1er juillet, pour 58 683 places, la France vient de battre son record de surpopulation carcérale. Le précédent datait du mois d’avril 2014 (68 859 détenus). Des chiffres qui ont suscité la colère de la CGT pénitentiaire. Dans un communiqué, le syndicat note que le contexte terroriste semble avoir « modelé l’ensemble de la politique pénale », contribuant à cette surpopulation. Les prisons françaises sont de véritables « marmites infernales », alerte-t-il. Un constat partagé par François Bès, de l’Observatoire international des prisons.
Comment expliquez-vous ces chiffres ?
François Bès C’est la conjonction de deux phénomènes. D’abord, la lente mais constante montée, depuis plusieurs années, du nombre de détenus. Mais aussi un durcissement visible depuis les attentats de 2015. Ainsi, en un an, le nombre de détentions provisoires a augmenté de 18 %. Et les aménagements de peine, eux, ont dégringolé. Plus d’incarcérations, moins de sorties anticipées, cela crée un engorgement naturel. Les magistrats sont sensibles au climat général, nourri par l’opinion et les responsables politiques, et accordent de moins en moins de ces aménagements. Le rapport 2015 sur les prisons en Île-de-France montre cette hausse du nombre de détenus, mais aussi une saturation des quartiers d’isolement, où sont souvent placées des personnes incarcérées pour radicalisation ou terrorisme. Par ailleurs, si on regarde les courbes du nombre de détenus et des places de prison, on voit que les deux sont à la hausse. Mais qu’elles ne se rejoignent jamais. Construire de nouvelles prisons ne peut donc pas être la seule solution avancée.
On sait que la prison favorise la récidive. Comment convaincre l’opinion qu’elle n’est pas forcément la meilleure solution ?
François Bès Il y a une forte demande de sécurité de la part de la population. Mais rappelons-lui que les phénomènes de radicalisation ou de terrorisme ne concernent qu’une petite partie des justiciables, et même des personnes détenues. Or ce climat joue sur l’ensemble de la chaîne pénale, qui se durcit d’année en année. À ce titre, la baisse des aménagements de peine est inquiétante, car on sait que la récidive est deux fois moins élevée en cas de sortie anticipée, avec suivi, qu’en cas de sortie sèche. Avec cette incarcération massive, on va produire plus de récidive, dont plus de victimes demain, et une société qui sera globalement moins sécurisée. De même, la surpopulation carcérale massive a elle-même des conséquences néfastes : elle crée des tensions, de la violence, une certaine forme de radicalisation, pas forcément religieuse, mais qui se traduit par une haine de la société. Au fond, la prison produit des gens qui sont plus dangereux à leur sortie qu’à leur entrée sous les verrous. Mais pour comprendre ça, il faut sortir de l’émotion.
Le garde des Sceaux le reconnaît : « Nos prisons annoncent les malheurs de demain. »
François Bès C’est vrai. Jean-Jacques Urvoas s’est aussi plaint d’une opinion publique qu’il jugeait « schizophrénique », parce que réclamant « plus d’enfermement » et affichant « en même temps une allergie aux conditions de vie dégradantes des détenus et des surveillants ». Mais le ministre participe de cette schizophrénie en annonçant la construction de nouvelles prisons, tout en promettant un développement des aménagements de peine. Développement qui ne se concrétise pas dans les faits.
Le ministre promet des avancées, via un rapport qu’il remettra sur l’encellulement individuel. Cela vous paraît-il réaliste ?
François Bès Non, cela ressemble à un vœu pieux. Chaque année, le décret d’application de la loi sur l’encellulement individuel est consciencieusement reporté, par tous les gouvernements. Le seul moyen de tendre vers cet objectif est d’appliquer les aménagements prévus pour les courtes peines, liées à des délits, soit l’immense majorité des condamnations. Les textes existent, mais la volonté politique n’est pas là. Or, sur le plan budgétaire, ce serait aussi un meilleur calcul. Car si une journée de prison coûte environ 100 euros, c’est trois fois moins pour une journée en « placement extérieur avec suivi ». Au lieu de ça, le budget de la justice est aujourd’hui massivement absorbé par la pénitentiaire (43 % du budget total – NDLR), et singulièrement la construction de nouvelles prisons.