Fauchée, la Justice met ses experts de Montpellier et Nîmes sur la paille

Employés par les cours d’appel de Montpellier et de Nîmes, ils ont de plus en plus de difficultés à se faire payer.

 

 

« Aujourd’hui, je suis obligée de faire des ménages pour survivre, comme à mon arrivée en France, il y a dix ans, avant que je commence à travailler pour les tribunaux. » À Montpellier, les traducteurs experts auprès de la cour d’appel tirent la langue. En ce dernier trimestre, ils ont de plus en plus de mal à se faire payer les missions qu’ils effectuent pour la Justice. Écoutes téléphoniques, gardes à vue, procès : ils sont des dizaines à intervenir, dans tous les rouages de la machine judiciaire. Un job particulier : « Il faut être disponible 24 heures sur 24. Si c’est une grosse enquête, on est pris pour trois, quatre jours », explique l’un d’eux, qui intervient en langue arabe. « On a l’angoisse de ne pas savoir quand on va travailler, et puis l’angoisse de ne pas savoir quand on sera payé », ajoute l’une de ses collègues, intervenant en langues slaves.

 

Les honoraires payés avec du retard

 

En 2007, lorsqu’elle a commencé « sous Sarkozy », le tarif était au plancher : 16,85 € de l’heure. « Peu de gens voulaient travailler à ce prix. Moi, ça m’a permis de survivre, avec 10 000 € dans l’année. On a été revalorisé en 2008 . » 42 € pour la première heure, 30 € pour les suivantes, et des majorations pour les nuits et les week-ends. De quoi assurer des revenus plus substantiels, bien que versés de façon irrégulière : la Justice paye par tranche, tant qu’elle a de l’argent. Avec de plus en plus de mal : « Avant, on était payé tous les trimestres. Maintenant, c’est avec six, sept mois de retard », note un expert technique, qui s’est retrouvé « avec plus de 48 000 € d’honoraires dehors. La banque me couvrait jusqu’à 40 000 €, il a fallu que j’aille pleurer à la cour d’appel, j’avais un an de travail non payé. Heureusement que ma compagne a un bon salaire ! »

 

Précarité

 

D’autres n’ont pas cette chance. « En 2009, j’avais eu 30 000 € de revenus et j’avais pu obtenir un prêt immobilier », détaille une traductrice. L’année suivante, elle n’est pas payée avant le mois de mai : « Ça m’a mis dans une situation catastrophique, j’ai été interdite bancaire, avec 4 500 € de frais sur l’année. Aujourd’hui, je reçois des commandements de payer des huissiers, je suis dans une précarité totale. » Elle a fait ses comptes : « L’an dernier, j’ai facturé 28 000 €, je n’ai perçu que 11 000 €, et 5 000 € remontant à 2011. » Elle a reçu 13 000 € en juin, et depuis, elle déprime et angoisse, d’autant qu’elle n’a plus droit au moindre découvert.

 

De la bonne volonté mais pas d’argent

 

Tous le reconnaissent : « Les magistrats sont très gentils avec nous, mais ils ne peuvent rien faire. » Question de budget : « Sur la cour d’appel de Montpellier, les besoins de financement des frais de justice sont d’environ 10,5 M€ par an, précise-t-on au palais de justice. En 2013, nous avons reçu une dotation de 7 381 612 €. Au 28 juin 2013, nous en avions consommé 5 245 687 €, soit 71 %. » La tendance est générale : à la même date, la cour d’appel de Nîmes avait déjà dépensé 74,3 % de son enveloppe, celle de Toulouse 66,2 %. Au plan national, les frais de justice ont coûté 520 M€ l’an dernier à la Chancellerie, qui n’avait un budget que de 455,5 M€. La différence sera payée avec les crédits de l’année suivante. D’où des retards qui s’accumulent, et des fins de mois de plus en plus difficiles pour les traducteurs. « De toute façon, ils trouveront toujours des gens pour faire ce travail, soupire l’une d’elle. On n’a aucun statut. Ils appellent un traducteur parce que c’est dans la procédure, mais ils s’en fichent qu’on travaille bien ou mal. » Ultime paradoxe, que souligne une greffière : « Si la Justice était une entreprise qui paye avec autant de retard ses fournisseurs, il y a longtemps qu’elle aurait fait faillite. »

 

20 € UN ADN, 100 000 € POUR UN AIRBUS…

 

Selon les enquêtes, les frais de justice varient énormément. L’établissement d’un ADN prélevé sur un individu ne coûte qu’une vingtaine d’euros. Selon sa difficulté, la recherche d’ADN sur un scellé découvert sur une scène de crime peut varier de 50 à 100 €. L’examen médical d’une personne gardée à vue est facturée 57,5 €, tout comme l’examen d’un cadavre sur le lieu de sa découverte. Une expertise psychiatrique coûte 277,5 €, et 296 € en cas d’infraction sexuelle. L’examen balistique d’un impact de tir d’arme à feu revient à 300 € en moyenne, mais une fusillade avec plusieurs douilles et armes à étudier peut atteindre rapidement les 3 000 €.

 

Reste que, dans notre région, la plus grosse note de frais judiciaire est celle de l’accident de l’Airbus, en novembre 2008, au large de Canet-en-Roussillon : 100 000 € pour une expertise aérienne, autant pour la contre-expertise, sans parler des frais de recherche des débris et du gardiennage : « On va sans doute atteindre le million d’euros », estime un magistrat.

source : midilibre.fr
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