ÉTATS-UNIS La prison, un business juteux

Les gestionnaires de prisons privées américaines ne connaissent pas la crise. Même si la criminalité diminue, des lois répressives et des « clauses d’occupation » assurent le remplissage de leurs établissements, souvent aux dépens du contribuable.

 

Le secteur des prisons privées vit des années fastes. La Corrections Corporation of America (CCA), géant américain des prisons privées, a vu depuis vingt ans son chiffre d’affaires croître de plus de 500 %. Et CCA entend se développer bien davantage. L’année dernière, la société a proposé à quarante-huit gouverneurs de leur racheter et de gérer leurs prisons [financées par les Etats]. L’argumentaire de CCA auprès des gouverneurs était particulièrement choquant car il comprenait une « clause d’occupation » prévoyant que l’Etat maintienne à tout moment les prisons remplies à 90 %, indépendamment de la hausse ou de la baisse de la criminalité.

 

Il s’avère que de telles clauses d’occupation sont monnaie courante dans le secteur des prisons privées. Un nouveau rapport de In the Public Interest [ITPI, association antiprivatisation] a épluché 62 contrats passés avec des prisons privées de tout le pays, à l’échelon local et au niveau de l’Etat. ITPI a découvert que 41 de ces contrats comprenaient des impératifs d’occupation obligeant les autorités locales ou les Etats à assurer un taux de remplissage des prisons situé entre 80 % et 100 %. En d’autres termes, l’Etat doit assurer l’occupation de ces places, que le crime augmente ou diminue.

 

Toutes les grandes sociétés carcérales prévoient des clauses d’occupation dans leurs contrats, à en croire le rapport. Parmi les Etats qui appliquent les clauses les plus strictes, on trouve notamment l’Arizona (où trois contrats comprennent des clauses d’occupation à 100 %), l’Oklahoma et la Virginie.

 

Une législation sur mesure

 

Parallèlement, les entreprises pénitentiaires privées ont favorisé l’adoption de lois sur la seconde récidive [les « three-strike laws » permettent de condamner les petits délinquants à perpétuité dès la troisième infraction]et la « vérité des condamnations » [les « truth-in-sentencing laws », qui prévoient des peines incompressibles afin que celles-ci correspondent aux sentences], lois qu’elles ont même contribué à rédiger. Cette législation fait augmenter la population carcérale. Pour prospérer, ces sociétés ont besoin que les villes, les grandes agglomérations et les Etats envoient davantage d’individus dans les prisons et les y fassent croupir.

 

On pourrait se demander ce qui se passe quand la criminalité baisse et que la population carcérale diminue dans les Etats qui ont accepté de garder leurs prisons privées pleines à 80 % ou 90 %. Prenez le Colorado. Le taux de criminalité de cet Etat s’est effondré d’un tiers au cours de la dernière décennie et, depuis 2009, cinq prisons gérées par l’Etat ont fermé parce qu’elles n’avaient plus d’utilité. De nombreuses places restent vides dans d’autres prisons de l’Etat.

 

Pourtant, le Colorado a choisi de ne pas occuper ces places, car le gouverneur démocrate, John Hickenlooper, et CCA ont conclu un accord prévoyant d’envoyer 3 330 prisonniers dans les trois prisons que possède le groupe au Colorado. Résultat, les contribuables de cet Etat paient la sous-occupation des prisons publiques. En mars, Christie Donner, directrice de la Colorado Criminal Justice Reform Coalition [Coalition pour la réforme de la justice pénale du Colorado], estimait que l’Etat gaspillait au moins 2 millions de dollars [1,47 million d’euros] en utilisant les prisons de CCA au lieu des siennes.

 

Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres de la manière dont les prisons privées continuent à s’enrichir, que la criminalité soit en hausse ou en baisse.

source : Courrierinternational.com
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