Des Etats généraux pour la bioéthique


LE MONDE | 09.06.09 | 14h17 | Par : Cécile Prieur

 

Près de trente ans après la naissance de son premier bébé-éprouvette en 1981, et quinze ans après qu’elle se fut dotée d’une législation pionnière, en 1994, la France revisite les fondements de ses lois en matière de bioéthique. Quels sont, aujourd’hui, les problèmes moraux soulevés par la recherche médicale, biologique, ou génétique ?

 

Lancés dans la discrétion en février, les Etats généraux de la bioéthique se poursuivent en juin par trois grands forums publics, avant d’être clos par le président de la République, Nicolas Sarkozy, le 23 juin. Ils sont conçus comme un temps de débats et de réflexion citoyens, prélude à la révision des lois, en 2010.

 

Par les Etats généraux, le gouvernement cherche à susciter « un questionnement partagé » sur les valeurs qui structurent la législation française : primauté de la personne humaine, non-patrimonialité du corps humain, anonymat et gratuité du don. Ces piliers sont ébranlés par les évolutions de la société.

 

Jusqu’à présent, la France s’était caractérisée par la cohérence et la permanence de sa législation sur les sciences du vivant. Pour la première révision des lois de bioéthique, en 2004, le législateur avait admis du bout des lèvres une possibilité d’évolution : après un débat très intense sur le clonage thérapeutique, il avait autorisé, sous conditions strictes, les recherches sur les cellules souches embryonnaires tout en conservant symboliquement le principe de leur interdiction.

 

Cinq ans après, le débat, de scientifique, est devenu sociétal : alors que les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) n’avaient quasiment pas été discutées en 2004, elles s’imposent, en 2009, comme l’enjeu majeur de la future révision. En 1994, la loi avait réservé l’aide à la procréation (fécondation in vitro, insémination artificielle) aux couples hétérosexuels en la concevant comme une réponse médicale à l’infertilité. Quinze ans plus tard, l’AMP est confrontée à des demandes sociales plus larges et est revendiquée par les femmes célibataires ou les couples d’homosexuelles.

 

De la même manière, alors que la loi avait explicitement interdit les mères porteuses en 1994, la gestation pour autrui apparaît, aux yeux de ses partisans, comme un nouveau remède à l’infertilité pour les femmes qui ne peuvent porter leur enfant. Enfin, la société ne peut plus ignorer la revendication des adultes nés d’un don de gamète anonyme (sperme ou ovocyte) et qui demandent à connaître leurs origines.

 

Sur ces questions, la France se retrouve souvent en position défensive. Elle est ainsi l’un des derniers pays occidentaux à ne pas s’être doté d’un dispositif juridique permettant la levée partielle ou totale de l’anonymat des donneurs de gamètes. Beaucoup de pays ont par ailleurs assoupli leur réglementation sur l’aide à la procréation, ouvrant, par exemple, l’insémination artificielle aux couples d’homosexuelles. Le libéralisme de plusieurs voisins européens alimente le « tourisme procréatif » : des couples de Français, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, n’hésitent plus à franchir les frontières pour bénéficier des techniques d’aide à la procréation.

 

Face à ces nouvelles demandes sociales, la loi est en porte-à-faux. Parce que la France a construit sa législation bioéthique non de façon pragmatique, mais en se dotant de grands principes, elle oppose ainsi une fin de non-recevoir aux revendications émergentes d’extension des pratiques biomédicales.

 

L’un des enjeux de la révision des lois sera donc de savoir si le pays est prêt à faire des concessions sur certains des grands piliers de sa loi – anonymat et gratuité du don, non-patrimonialité du corps humain – afin d’admettre des pratiques qui prospèrent hors de ses frontières. Rien n’est moins sûr, à la vue de la virulence des débats qui opposent les opposants et les détracteurs des mères porteuses.

 

C’est dans ce contexte que Le Monde a imaginé ce dossier spécial, destiné à éclairer les principaux termes du débat. Les six questions-clés de la future révision des lois de bioéthique sont exposées dans une double page, puis éclairées par l’analyse d’une juriste, et par le point de vue des différentes confessions.

 

Parce qu’elles ressortent de l’intime, tout en engageant notre idée de l’humain et de sa valeur, les questions de bioéthique transcendent les clivages politiques et idéologiques traditionnels. Puisse le lecteur se forger une conviction à l’aube d’un processus de révision qui bornera pour plusieurs années les contours du possible et du souhaitable en matière de bioéthique.

 


source : Le Monde
Partagez :