DES PISTES CONTRE LA RÉCIDIVE (2/4) «Libération» décrypte cette semaine quatre propositions qui seront sur la table jeudi lors de la «Conférence de consensus». Aujourd’hui, la justice réparatrice.
Par SONYA FAURE
Et si on abolissait les peines de prison de quelques mois? Si on encourageait délinquants et victimes à se parler? Si on inventait une nouvelle sanction, destinée à devenir la peine de référence à la place de l’incarcération? A la demande de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, des spécialistes planchent depuis septembre sur les moyens d’amener les délinquants à changer de voie – un brainstorming pompeusement appelé «Conférence de consensus sur la prévention de la récidive».
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Jeudi et vendredi, ces travaux seront présentées et un jury y piochera des orientations que la garde des Sceaux s’est engagé à suivre. Chaque jour jusqu’à jeudi, Libération présente une de ces idées novatrices. Aujourd’hui, la justice réparatrice.
La justice réparatrice, qu’est-ce que c’est?
La justice restaurative (l’autre nom de la justice réparatrice) repose sur un principe simple: la victime et l’auteur du délit doivent tous deux participer à la réparation du préjudice commis. Ce qui doit permettre à la première de se faire entendre et de reprendre son destin en main – un rôle que remplit rarement le procès – et au délinquant de faire face à la conséquence de ses actes. En justice restaurative, il est beaucoup question de la «souffrance» de la victime et de sa «guérison». De «réconciliation» entre auteurs et victimes de délit – peut-être parce que cette justice est ancrée dans la culture religieuse nord-américaine. Elle prend différentes formes: médiation entre le délinquant et sa victime pour s’accorder sur un mode de réparation, rencontres au sein de la prison encadrées par des représentants de la société civile… «Les crimes et les délits ne sont pas seulement une violation de la norme, mais des blessures pour toute la communauté, explique Robert Cario, professeur de criminologie à l’Université de Pau. Dans notre justice hypercentralisée, rien n’est fait pour travailler sur les répercussions de l’infraction. Avec la justice restaurative, on passe de : « Qu’a-t-il fait? Comment le punir? » à « Que faire maintenant que l’acte a eu lieu? Comment le quotidien va-t-il se poursuivre? » La collectivité s’y investit: les amis, la famille, les habitants de la cage d’escalier se réunissent pour dire comment ils ont vécu l’infraction, comment ils peuvent aider l’auteur et la victime à réintégrer la communauté sans être humiliés.
Où cela se pratique-t-il déjà ?
La justice restaurative prend exemple sur les «cercles de sentence» des Inuits du Québec (jusqu’à 40 membres de la communauté concernée par l’infraction se réunissent pour lui trouver une résolution) ou les «conférences du groupe familial» des Maoris d’Australie, centrées sur la délinquance des mineurs, comme le rappelle Robert Cario. Les premiers programmes de rencontre entre délinquants et victimes ont été importés au Canada et aux Etats-Unis dans les années 70. Le Québec a développé les «cercles de soutien et de citoyenneté» pour les sortants de prison: un «premier cercle» composé de bénévoles formés l’accompagne, jour et nuit s’il le faut, et l’aide à retrouver un logement et un travail. En cas de difficulté, un «second cercle» composé de professionnels prend le relai s – toujours bénévolement. En France, une expérimentation de rencontres détenus-victimes (RDV) a vu le jour dans la prison de Poissy, en 2010. Les proches de victimes et les criminels (leurs affaires n’étaient pas liées) se sont rencontré à six reprises pendant trois heures. «Nous cherchions à ce que les auteurs du crime prennent conscience que la victime ne « passe pas à autre chose » après le procès comme ils le croient souvent, et à ce que les victimes, elles, trouvent l’apaisement», explique Michèle de Kerckhove, présidente de la Fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation (Inavem) qui voudrait développer cette initiative.
Est-ce que ça marche ?
«L’évaluation des programmes nord-américains montrent qu’ils permettent une meilleure resocialisation des délinquants», assure Robert Cario. Les délinquants sexuels sortant de prison et participant à un Cercle de soutien et de responsabilité mis en place dans l’Ontario (Canada) récidivent par exemple six fois moins (un résultat à nuancer puisque les participants sont volontaires, et donc peut-être plus décidés à sortir de la délinquance). L’expérience de Poissy est quant à elle trop limitée pour donner lieu à une étude d’impact. Reste la parole des participants: «Malgré la tenue d’un procès, il vous reste des questions personnelles, qui n’intéressent pas les faits judiciaires et qui vous obsèdent, témoigne Marie-José Boulay, mère de Delphine, enlevée et assassinée en 1988. La rencontre avec les condamnés de Poissy a d’abord été perturbante. Nous leur réclamions des précisions sur leur passage à l’acte. Ils nous ont répondu qu’eux-mêmes ne savaient pas, qu’il ne fallait pas espèrer de réponses. J’ai mis un point final aux questions qui me taraudaient. Accepter une non-réponse a rendu possible l’apaisement.» François Goetz, aujourd’hui directeur de la prison de Poissy, a mesuré l’impact des RDV sur les trois détenus y participant: «Ils n’ont plus envisagé de la même manière leur parcours personnel, ils n’ont plus parlé de leur victime de la même manière: ils l’ont soudain prise en considération. Prendre conscience de ce qu’on a fait, en assumer les conséquences, bref, devenir responsable de son acte, c’est le principe même de la prévention de la récidive.»