Article de Laurence De Charette publié le 31/03/2011 sur lefigaro.fr
Les avocats, qui ont obtenu aux forceps la réforme de la garde à vue, s’y préparent avec un enthousiasme inégal. Le barreau de Paris a déjà fait ses comptes. «Nous sommes prêts à démarrer», assure le vice-bâtonnier Jean-Yves Le Borgne. Le palais de justice parisien, qui regroupe la moitié des avocats de l’Hexagone, n’est pas à la peine. Près de 52.000 gardes à vue ont lieu chaque année dans la capitale, mais seules quelque 20.000 personnes mises en cause demandent le soutien d’un avocat. Le pôle de permanence actuellement constitué d’environ 40 robes noires, présentes par roulement nuit et jour, devrait s’étayer d’une dizaine de volontaires pour faire face.
L’organisation est plus complexe en province. Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux (CNB), a mobilisé le terrain. À ce jour, la moitié des bâtonniers lui ont présenté leur dispositif. Dans les barreaux les moins peuplés, comme dans le Gers, l’ensemble des avocats devront désormais s’inscrire au tableau des permanences… Dans la plupart des départements, les équipes mobilisées vont être multipliées par deux ou par trois, parfois réparties en deux points du ressort, pour limiter les distances à parcourir. Certains bâtonniers ont aussi décidé de spécialiser une partie de leurs pénalistes.
Malgré tout, tout le monde peine à évaluer quelle sera l’ampleur de la demande, ou comment vont se dérouler ces nouvelles gardes à vue dans lesquelles l’avocat et le policier se feront face pour la première fois. «Nos clients sont rassurés par la perspective d’être accompagnés tout au long des interrogatoires», explique Christophe Ayela, avocat chez Mayer Brown. C’est si vrai qu’un avocat raconte avoir reçu une «avance» de 15.000 euros de la part d’un client particulièrement prévoyant, en forme de crédit ouvert afin de rémunérer son intervention au cas où…
Les avocats, eux, ne se réjouissent pas tous pour autant. Une partie de la profession estime que le texte a été rédigé a minima, et risque finalement de desservir les stratégies de défense. «Certaines affaires sont extrêmement techniques, comment conseiller utilement un client sans accès aux éléments du dossier?», s’inquiète Kiril Bougartchev, pénaliste chez Linklaters.
De nombreux professionnels s’interrogent sur la place qu’ils occuperont dans les commissariats. «La culture de l’aveu reste prégnante en France, elle suppose une forme d’intimidation des personnes gardées à vue, et je ne suis pas certain que la présence d’un avocat quelques heures parvienne à changer la pratique», glisse un pénaliste, tandis qu’un autre ajoute, plus prosaïque: «Je me demande si je ne vais pas prévoir des pilules nutritives, en cas de garde à vue prolongée. Je ne me vois pas avaler un sandwich devant un client auquel on n’aura pas servi un verre d’eau depuis des heures…»
Dans les cabinets, les pénalistes se préparent en effet à passer quelques nuits blanches non loin de leurs clients. Selon les premières projections chiffrées, la durée moyenne d’intervention des avocats pourrait être de trois heures. Mais le quart des gardes à vue donne lieu à prolongation.
Les principaux points de la réforme:
• L’avocat sera présent tout au long des interrogatoires de la garde à vue (au lieu d’une demi-heure de visite actuellement). Il dispose d’un délai de deux heures pour arriver. Il peut poser des questions à la fin de chaque audition et consulter les procès-verbaux d’audition, mais pas l’ensemble du dossier.
• Le procureur peut toutefois reporter l’arrivée de l’avocat de 12 heures pour «des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête». Dans le cas des régimes dérogatoires (criminalité organisée, terrorisme), sa présence peut être différée de 48 heures et de 72 heures.
• Une victime a aussi le droit d’être assistée par un avocat lors d’une confrontation si le gardé à vue a un avocat.