Article de Lætitia Clavreul paru sur LeMonde.fr le 21 juin 2010
Voici des résultats qui ne manqueront pas d’être commentés. Depuis 2002, l’opinion des Français sur les drogues, licites comme illicites, s’est durcie, selon l’enquête EROPP 2008, réalisée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et présentée avec la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), lundi 21 juin. Le président de la Mildt, Etienne Apaire, y voit un « lien avec la politique menée ces dernières années », et notamment les discours prohibitionnistes tenus sur les dangers des drogues.
Héroïne, cocaïne, cannabis, mais aussi tabac et alcool : les Français sont de plus en plus nombreux à les juger dangereux dès l’expérimentation, selon la troisième « Enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes » (ERROP), publiée lundi 21 juin par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. D’une manière générale, c’est un durcissement des opinions que l’enquête enregistre. Ainsi, en 2008, 85 % des Français rejettent l’idée d’une autorisation de la vente libre de cannabis, soit dix points de plus qu’en 2002. La part de ceux considérant que les héroïnomanes consomment de la drogue parce qu’ils sont malades est quant à elle passée de 41 %, en 2002, à 24 % en 2008.
L’enquête EROPP est opportunément publiée alors que doit être présenté aux associations d’aide aux toxicomanes, jeudi 24, un bilan d’étape de l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur la réduction des risques chez les usagers de drogue. Ce travail donnera lieu à des recommandations aux pouvoirs publics, publiées fin juin. Il est très attendu car il comporte un volet sur les salles de consommation – un dispositif dont l’implantation éventuelle en France fait polémique entre les partisans de la réduction des risques et le gouvernement depuis plus d’un an.
Les études internationales réalisées sur les salles de consommation – des lieux où les consommateurs de drogues peuvent s’injecter proprement les produits en se voyant proposer un accompagnement social – sont favorables à ce dispositif de réduction des risques. Elles montrent que les salles de consommation ont permis de réduire les décès par overdose et les nuisances pour les riverains des zones fréquentées par les toxicomanes. En Europe, il en existe en Suisse, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Luxembourg et Norvège.
Favorables à la mise en place de ce dispositif en France, les associations d’aide aux toxicomanes étaient jusque-là optimistes : en novembre 2009, la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, avait annoncé attendre les recommandations de l’Inserm pour décider de lancer, ou non, une expérimentation. Mais ces derniers temps, le monde associatif dit craindre une politisation du dossier, et s’inquiète du silence de Mme Bachelot. Interrogé, son entourage explique que celle-ci attend comme prévu l’avis de l’Inserm pour trancher… mais ajoute qu’il faudra aussi examiner si un tel outil est applicable dans le contexte économique, social et culturel français.
Les pouvoirs publics multiplient dorénavant les signes négatifs sur le dossier. M. Apaire met ainsi en avant un résultat de l’enquête EROPP montrant que 73 % des Français sont défavorable aux salles de consommation. « Les Français sont d’accord pour la réduction des risques, mais pas pour des mesures d’accompagnement, qui peuvent être ressenties comme une aide à la consommation. Il faut le prendre en compte », commente M. Apaire, lui-même très opposé à la mise en place de ce dispositif.
En mars, le Collectif du 19 mai, qui regroupe des associations comme Asud (usagers), Anitea (Association nationale des intervenants en toxicomanie et en addictologie), Act Up Paris ou SOS Hépatites Paris, a remis au ministère un projet de salle de consommation. Un tel lieu, situé dans les zones très fréquentées par les toxicomanes (Nord de Paris, Saint-Denis…), remplirait un double objectif. D’abord, il permettrait de toucher les plus marginalisés qui se « shootent » dans la rue en leur offrant un meilleur suivi social et médical et en limitant les risques d’infection (VIH, hépatite C) provoquées par le partage de matériel. Il permettrait aussi de réduire les troubles à l’ordre public. Des infirmiers, assistantes sociales, éducateurs seraient présents dans les locaux. Les mineurs en seraient exclus. Le partage, la vente et le dépannage de tout produit légal ou illégal y seraient interdits.
A Paris, ville particulièrement concernée, l’adjoint PS à la santé, Jean-Marie Le Guen, favorable aux lieux d’injection, et l’UMP, qui n’hésite pas à crier à l’incitation à consommer des drogues, s’écharpent sur le sujet. « Sur les drogues, la France fait passer la morale et l’idéologie avant le pragmatisme », regrette Pierre Chappard, coordinateur du Collectif du 19 mai. « Ce n’est pas parce qu’on ouvrira des salles pour ceux qui sont en grande difficulté qu’on renoncera au discours éducatif auprès des adolescents. Il faut cesser d’opposer l’un à l’autre », plaide Jean-Pierre Couteron, président de l’Anitea.
Pour le député UMP des Vosges Michel Heinrich, il est temps de dépassionner le débat en expliquant ce que sont ces salles de consommation. Il préconise de tenter l’expérimentation : « De nombreux toxicomanes échappent à tout réseau de prévention et c’est pour cette raison que cela mérite d’être essayé. » La formule devrait ne désavouer aucun camp.