Mutineries, récidive : le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, s’inquiète des effets de la surpopulation carcérale.
Il arpente les prisons françaises depuis maintenant cinq ans. En tant que contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue s’attache à protéger les droits fondamentaux des détenus. Il porte un regard alarmant sur la surpopulation et voit plutôt d’un bon œil la réforme pénale portée par Christiane Taubira.
Entretien.
Votre dernier avis porte sur les femmes incarcérées avec leurs enfants. Ces cas sont-ils fréquents ?
« Les femmes condamnées à des peines de prison peuvent garder leur enfant jusqu’à l’âge de dix-huit mois. Elles ne sont que quelques dizaines par an, mais ces situations sont très douloureuses parce que ces mamans ne peuvent pas apporter tout ce qu’elles devraient à leur enfant. Et puis, on est forcément ému à la vue de ces tout-petits derrière les grilles. »
Vous dites que tout doit être fait pour éviter ces situations. Comment ?
« Dès lors que c’est possible, il faut faire sortir ces mères de prison. En utilisant plus systématiquement la libération conditionnelle ou la suspension de peine pour raison familiale (la mère purge sa peine de prison après les dix-huit mois de l’enfant). Il s’agit d’éviter à l’enfant une captivité que rien n’impose. »
La surpopulation carcérale est-elle un sujet de préoccupation ?
« Nous nous inquiétons depuis longtemps de la surpopulation carcérale, même si nos concitoyens ont du mal à réaliser ses effets. La prison n’est pas dimensionnée pour tous ceux qu’elle accueille. Il n’y a pas assez de postes de travail et les parloirs sont trop restreints pour recevoir toutes les familles. Or, un détenu sans ressources et sans lien avec sa famille est un détenu vulnérable. »
Doit-on comprendre que la prison favorise la récidive ?
« Oui. Ça a été mal compris dans les propos de la garde des Sceaux. Elle n’a pas condamné le principe de la prison. Elle a voulu dire que son état actuel conduit un certain nombre de gens, qui sont mal pris en charge, à récidiver. Parce qu’on ne leur a pas appris à faire autre chose qu’à commettre des infractions. Désengorger les prisons est donc un enjeu pour la sécurité des Français. »
La contrainte pénale voulue par Christiane Taubira apporte-t-elle une réponse ?
« Une seule solution ne suffira pas. Mais je crois que la contrainte pénale est susceptible, pour les petites infractions, de contribuer à la dépopulation des prisons. Son principe n’est pas nouveau et ressemble au sursis avec mise à l’épreuve, qui donne au condamné des conditions à remplir. A la différence près que la contrainte pénale ne se contente pas d’interdire, mais incite le condamné à se prendre en main. Par exemple en obligeant un alcoolique à suivre une cure.
La mutinerie seule forme de protestation possible
« En revanche, cette contrainte pénale nécessite du personnel pour assurer un suivi attentif des condamnés. Il faut également des moyens pour financer les associations qui auront plus de personnes à prendre à leur charge. Or, dans un contexte budgétaire où l’État s’efforce de diminuer ses dépenses, je ne sais pas de quels moyens disposera Mme Taubira. »
La surpopulation est-elle à l’origine des mutineries qui ont agité les prisons cet été (Châteaudun, Ensisheim…) ?
« Aujourd’hui, il y a quarante personnes en trop pour cent places dans les maisons d’arrêt. Ça induit une tension très forte des personnels et des détenus. Quand un troisième arrive dans une cellule pour deux, il doit mettre ses affaires par terre et dormir à même le sol parce qu’il n’y a ni lit ni placard pour lui. Dans ce contexte, la moindre contrariété peut déraper. »
Comme à Blois le 19 août ?
« C’est exactement ce qui s’est passé à Blois lorsqu’un détenu est mort d’un accident de santé. Les détenus disent qu’ils ont tapé longtemps à la porte de leurs cellules pour alerter les surveillants parce que quelqu’un ne se sentait pas bien. Ils ont sûrement pensé que si les secours n’avaient pas été si longs à accourir, cette personne serait encore en vie.
« Je crois que cette mutinerie n’aurait pas pris si on n’avait pas été dans le contexte de surpopulation, et si par conséquent les gens n’avaient pas le sentiment, je reprends leur expression, qu’on les traite « comme des chiens ».
« La maison d’arrêt de Blois n’est sûrement pas la plus agitée de France. Mais elle est surpeuplée et, si calmes que soient les gens, ils ont ressenti la mort de cet homme comme une injustice très profonde. Et la mutinerie est la seule forme de protestation possible en prison. »