Article de Marion Brunet, paru sur LeFigaro.fr le 22 septembre 2011
Prévenir les suicides en prison grâce aux détenus eux-mêmes. C’est l’expérimentation menée depuis mars 2010 par l’Administration pénitentiaire dans trois établissements pilotes. Dans les maisons d’arrêt de Strasbourg, Villepinte et Bordeaux, cinq «co-détenus de soutien» en moyenne sont chargés de soutenir les prisonniers psychologiquement fragiles et de repérer les comportements à risque afin de les signaler au personnel pénitentiaire.
Depuis le lancement de cette phase de test, ils sont une trentaine au total à avoir endossé ces habits d’«accompagnateur». Un nombre faible compte tenu de la proportion de prisonniers dans chaque établissement Strasbourg a une capacité d’accueil de 444 places, Villepinte de 588 et Bordeaux de 407. Pour le psychiatre Jean-Louis Terra, qui a participé à la mise en place de ce dispositif, cela tient à la «sévérité» des règles de recrutement. Chaque candidat qui se porte volontaire doit passer un «oral de motivation» devant une commission pluridisciplinaire. Parmi les critères requis : le détenu doit être équilibré, inspirer confiance, faire preuve de solidité psychique, être peu intimidable ou encore montrer qu’il a une parfaite maîtrise de lui-même. Une «perle rare», selon le professeur Terra.
Avant d’enfiler leur nouvelle casquette, les «co-détenus de soutien» sont formés au secourisme, à la prévention de l’acte suicidaire, à l’écoute et à la confidentialité. «Cet enseignement pourra non seulement leur servir à l’extérieur, mais il leur permet aussi de retrouver un peu l’intelligence qu’on leur retire à leur arrivée en prison», explique au figaro.fr Jean-Louis Terra, qui les forme au secourisme psychique. Charge ensuite à eux de repérer les détenus en détresse psychologique au cours des horaires de promenade ou des passages dans les couloirs et de les recevoir, dans leur cellule ou dans une salle dédiée, afin d’essayer de les tenir éloigner de toutes pensées suicidaires. Ce dispositif reste toutefois à améliorer puisque les trois établissements pilotes ont continué à enregistrer des suicides depuis mars 2010. En cause : la détection des personnes vulnérables, aucune des victimes n’ayant été repérées par un des «accompagnateurs».
«Un système de carotte et de bâton»
Les «co-détenus de soutien» disposent par ailleurs d’un patronage de la Croix-Rouge française pour les aider dans leur travail d’accompagnement. Chaque semaine, deux bénévoles de l’association les réunissent pendant environ deux heures pour faire un point sur leur mission, les conseiller et répondre à leurs interrogations. Chaque «co-détenu» bénéficie également d’une porte de sortie s’il souhaite renoncer à sa fonction, tout comme l’administration se garde la possibilité de renvoyer l’un d’entre eux en cas de problème. «Cette dernière situation s’est déjà présentée deux fois, notamment dans le cas d’un détenu qui ne venait plus aux réunions hebdomadaires qui sont pourtant une priorité», raconte au figaro.fr Frédérique Van Berckel, la coordinatrice du dispositif au sein de la Croix-Rouge.
«Avec ce système, on officialise des relations qui existaient déjà entre les détenus, tout en développant des outils de soutien. L’intérêt pour les «co-détenus» est de sortir de l’anonymat et d’obtenir une reconnaissance à l’intérieur de la prison, décrypte-t-elle. En revanche, nous ne voulions pas que l’intérêt soit plus attrayant que la mission, avec par exemple l’instauration d’une réduction de peine. Cette fonction est donc seulement indiquée dans leur dossier». François Bès, de l’Observatoire international des prisons (OIP), voit au contraire dans ce dispositif «un système de carotte et de bâton». «Le détenu risque de se lancer dans cette aventure pour être bien vu par le juge d’application des peines et non pour le côté humain», note-t-il, tout en dénonçant une mesure qui consiste à «empêcher le suicide et non à améliorer l’état des détenus». «Le problème est pris à l’envers. Il faudrait plutôt redonner de l’espoir aux prisonniers et du sens à leur peine, avec des mesures d’accompagnement social et psychologique et une vraie aide à la réinsertion», ajoute François Bès, qui pointe aussi un risque de culpabilité pour les «codétenus» en cas d’échec de leur suivi.
Pour Loïc Broudin, du syndicat pénitentiaire UFAP, ce dispositif permet à l’Administration pénitentiaire de pallier certaines défaillances du système carcéral, comme le manque de formation du personnel en matière de suicide. Le professeur Terra avoue d’ailleurs que certains agents de la pénitentiaire dans les trois établissements tests se sentent soulagés de savoir qu’un «co-détenu» est là pour s’occuper des prisonniers en détresse lorsqu’ils s’en vont. «Un directeur m’a dit qu’«il ne pourrait plus s’occuper de la prison sans eux» car ils lui relaient des informations essentielles sur les autres prisonniers», renchérit le psychiatre, pour qui ces «accompagnateurs» doivent être des compléments des moyens de prévention existants et non un moyen de combler les trous.
De son côté, malgré les différentes critiques, le ministère de la Justice juge que cette expérimentation a déjà apporté des «résultats encourageants», selon le porte-parole adjoint du ministre de la Justice, Olivier Pedro-José. La phase de test doit d’ailleurs être prochainement étendue aux neuf directions interrégionales pénitentiaires, avec une prison par direction.