Fini les automatismes enfermant les juges dans le carcan des seuils minimaux, sauf à justifier leur choix d’y déroger. Les peines planchers vont être rayées de la carte, a annoncé Christiane Taubira. Les juges vont donc retrouver leur pouvoir d’individualiser les réponses pénales, dont la gamme va même s’élargir.
Dans le cas des personnes déclarées coupables d’un délit puni d’une peine maximum de 5 ans d’emprisonnement (homicide involontaire ou violence sur conjoint avec ITT inférieure à 8 jours par exemple), elles auront bientôt le choix entre la prison ferme ou assortie d’un sursis simple ou avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général, les jours-amendes, etc., et la contrainte pénale (CP). Cette nouvelle forme de probation est la mesure phare de la réforme pénale qui sera présentée fin septembre en conseil des ministres. Plébiscitée par le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, cette mesure a déjà fait ses preuves dans d’autres pays, et notamment en Angleterre.
Pas d’épée de Damoclès
En quoi consiste concrètement cette CP ? Il s’agit d' »une peine en milieu ouvert, restrictive de libertés », consistant à respecter un certain nombre d’obligations (travail d’intérêt général, obligation de soins, indemnisation de la victime, etc.) ou/et d’interdictions (s’approcher du domicile de la victime, etc.) calquées sur l’actuel sursis avec mise à l’épreuve (SME). En outre, cette nouvelle peine serait déconnectée de toute référence à l’emprisonnement, à la différence du SME actuel dont la révocation pour non-respect des obligations met automatiquement à exécution la peine de prison qui l’accompagne (ou la fait disparaître dans le cas inverse).
En clair, le condamné n’aurait plus au-dessus de sa tête l’épée de Damoclès de l’emprisonnement. En cas de non-respect des obligations, il serait re-convoqué devant le tribunal qui réviserait sa peine en fonction d’un certain nombre de critères tels que la gravité du manquement aux obligations ou la personnalité de l’auteur. Sauf que, selon le chercheur Pierre-Victor Tournier qui fut le premier à proposer, dès 2006, sa création en France, la Chancellerie semble retenir une autre idée : « Lors du prononcé de la CP, le tribunal indiquerait le quantum de la peine d’emprisonnement applicable en cas de non-respect des contraintes. Dans un tel cas, la différence avec l’actuel SME serait bien ténue », commente le chercheur. Le système inverse serait de ne rien prévoir et de renvoyer l’auteur devant le tribunal correctionnel qui lui appliquerait une peine proportionnée à la nature et à la gravité des obligations violées.
Un périmètre à l’étude
L’autre question encore en débat est de savoir quel sera le périmètre de cette nouvelle peine. La CP s’appliquera-t-elle à l’ensemble des délits punis de 5 ans de prison ? « Je suis contre ce choix, affirme Pierre Victor Tournier. À partir du moment où l’on a un projet aussi ambitieux, il faudrait dans un premier temps expérimenter cette nouvelle peine et la circonscrire à un certain nombre d’infractions », juge-t-il. Mais lesquelles ? « Il s’agirait d’infractions primaires – ne concernant donc pas les récidivistes – statistiquement nombreuses : conduites en état d’alcoolémie sans victime directe, coups et blessures volontaires sans circonstance aggravante, vols de petite importance, usage de stupéfiants, autant d’infractions qui, à l’heure actuelle, sont en pratique sanctionnées par des peines de prison avec sursis. Dans tous ces cas, les magistrats auraient le choix entre la CP et l’amende. » Et ce choix sera étendu compte tenu du large éventail d’obligations associées à la CP. « Le juge pourra au minimum imposer au condamné de changer de domicile ou d’effectuer un stage de sensibilisation et, dans les cas extrêmes, le placer sous surveillance électronique avec GPS », explique le chercheur.
Autre point : les agents des services de probation et d’insertion auront-ils leur mot à dire sur le choix des contraintes ? La question est encore à l’étude au ministère. « Il est important que le conseiller d’insertion et de probation ait un rôle en amont pour définir la bonne contrainte et donner des orientations au juge avant qu’il ne décide de la sanction », estime pour sa part Pierre Victor Tournier.
Un parcours vers la réinsertion
Mais ce qu’attendent avec impatience les spécialistes est de savoir à qui reviendra la tâche de contrôler le respect des obligations du condamné, et quel mécanisme sanctionnera leur violation. Devra-t-on confier la révocation de la CP au juge de l’application des peines (JAP) qui est déjà chargé de celle des sursis avec mise à l’épreuve ? En pratique aujourd’hui, « la révocation du sursis intervient après plusieurs violations et après l’échec du recadrage du condamné », note Martine Herzog-Evans, professeur de droit et de criminologie à l’université de Reims (1). Si cette tâche revenait au tribunal correctionnel, on pourrait en revanche s’attendre à une réponse plus systématique et plus sévère. Pour Martine Herzog-Evans, il faudrait surtout promouvoir le plus en amont possible la collaboration entre les juges d’application des peines, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les psychiatres, le Pôle emploi, les associations et la police : cela permettrait de mutualiser les coûts et les efforts grâce à une meilleure circulation des informations », assure Madame Herzog-Evans.
En Angleterre et aux Pays-Bas, où la contrainte pénale a donné de bons résultats, elle est surtout un parcours vers la réinsertion. Parmi les méthodes qui « marchent », il y a celles qui utilisent des techniques cognitives et comportementales, ou qui évaluent les risques et les besoins des personnes à partir de leurs failles psychosociales, de leurs addictions, etc. Il y a aussi les « skills » qui sont des qualités professionnelles spécifiques grâce auxquelles les agents de probation accompagnent les délinquants dans la résolution de leurs problèmes d’emploi, de logement, etc. Autre méthode aux résultats prometteurs : la « juridiction résolutive de problèmes » : un tribunal regroupant les différents services chargés de résoudre les problèmes de délinquance. « Ici, la solennité et le formalisme de l’intervention judiciaire ont plus d’impact sur le condamné qu’un rendez-vous dans le bureau informel d’un service de probation », ajoute Madame Herzog-Evans.
Un objectif ambitieux
L’objectif ? Passer de la probation à la désistance (du verbe anglais to desist : renoncer, abandonner), c’est-à-dire l’arrêt de la délinquance. Différents programmes sont expérimentés depuis quelques années dans plusieurs pays pour y parvenir. En France, une étude publiée en novembre 2012 sur la désistance des mineurs révèle qu’en matière de vol ou de violences, c’est le placement (en centre éducatif, dans une famille d’accueil, dans un foyer, etc.) qui obtient le score de désistance le plus élevé (autour de 80 %). Concernant les affaires de destruction ou de dégradation, ce sont les mesures de milieu ouvert, et notamment la réparation, pour lesquelles on observe près de 80 % de désistants.
Les ambitions et les enjeux sont immenses. Ils impliquent aussi de recadrer le rôle des conseillers d’insertion et de probation. La ministre a annoncé 300 postes supplémentaires. Une mesure déjà jugée insuffisante par les professionnels.
Par LAURENCE NEUER
Auteure de « Le juge de l’application des peines : Monsieur Jourdain de la désistance » et « Moderniser la probation française », à paraître chez L’Harmattan.