Ces prisonniers qui purgent la fin de leur peine à la ferme

Dans l’Aisne, des détenus en fin de peine séjournent et travaillent sur une exploitation agricole afin de préparer leur retour à la vie normale. Une démarche qui illustre l’esprit de la réforme voulue par Christiane Taubira. Objectif: combattre la récidive.

 

 

Un bruit de porte. Un simple bruit de porte métallique. C’est sans doute le premier souvenir qu’il gardera de ce lundi matin de mai 2014. Ce moment où les surveillants du centre pénitentiaire de Laon (Aisne) l’ont fait sortir avec son paquetage : quatre sacs en plastique bien remplis et une boîte en carton. A 33 ans, Fabrice* vient de passer dix-sept mois en détention. En théorie, il lui en restait six autres à « tirer » sur sa condamnation pour vol en réunion, mais un juge a accepté d’aménager sa fin de peine en « placement extérieur », autrement dit toujours sous surveillance, mais à l’air libre, dans une ferme de Coucy-le-Château-Auffrique, paisible bourgade de Picardie.

 

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Ce matin-là, devant la prison, une femme l’attend au volant de sa voiture : Anne-Marie Pery, responsable de cet établissement rural très particulier, partenaire du ministère de la Justice depuis 2004. En route, ils discutent. « Cette semaine, tu feras la plonge », le prévientelle en souriant. Anne-Marie sait ce qu’est le monde carcéral ; elle y a été enseignante pendant dix-huit ans avant d’accepter, à titre bénévole, ce poste de directrice. Fabrice, lui, n’est pas du genre bavard et profite surtout du paysage. Tout à coup, elle ralentit : « Tu vois, notre domaine de 20 hectares commence ici; c’est donc une frontière virtuelle. Il est interdit de la franchir sans autorisation. »

 

Les voici parvenus à la ferme de Moyembrie, un joyau de verdure en terre picarde. Au centre, les bâtiments et la cour. A gauche, la fromagerie, la salle de traite, les poulaillers. Plus haut, les serres et les champs. Et tout autour, des bois. L’encadrement se limite à cinq personnes, trois hommes et deux femmes. Leur mission : animer et contrôler une communauté d’une vingtaine d’ex-détenus, tous salariés. Ce dispositif, loin d’être unique en France, illustre la « libération sous contrainte aux deux tiers de la peine », que Christiane Taubira veut instaurer dans le cadre de sa réforme pénale. La garde des Sceaux entend faire chuter le taux de « sorties sèches » (les fins de détention sans aménagement), actuellement bloqué à 80%.

 

Un sas entre la prison et la liberté totale

 

Sitôt arrivé, Fabrice récupère la clef de sa chambre et se lâche un peu : « Une grande fenêtre avec vue sur des arbres, quel luxe ! » Il lui reste maintenant à lire les trois pages de règles de vie : les horaires de travail (8 heures-midi), l’obligation de participer aux repas collectifs et aux tâches ménagères, l’interdiction de l’alcool… Le jeune homme sait déjà à quoi s’en tenir : comme les autres, il a été soumis à une évaluation d’une journée avant d’être adoubé par la direction. Ceux qui postulent en espérant uniquement adoucir leur fin de peine sont éliminés, soit 2 candidats sur 5. Moyembrie, c’est plutôt un sas entre la prison et la liberté totale, un remède antirécidive.

 

L’après-midi, les pensionnaires peuvent se consacrer aux démarches de recherche d’emploi et de logement. Ainsi, l’un d’eux, condamné à six ans de prison pour récidive de vol, a quitté les lieux le 23 mai après un séjour de huit mois. Son projet : relancer sa petite entreprise d’élagage et de débroussaillage. « Pas question de replonger, confie ce Valencien nois. Je n’ai pas vu grandir mon troisième enfant et je tiens à vivre auprès du quatrième. »

 

D’après Anne-Marie Pery, la vraie rupture avec la prison, « c’est d’arrêter le maternage, l’infantilisation ». Ici, chacun a donc ses responsabilités et son « job » : l’élevage des animaux, la fabrication de fromages ou le maraîchage. « Après onze mois de prison, je ne céderais ma place pour rien au monde », assure Jean-Louis, 43 ans. Chaque matin à 6h30, cet homme condamné à vingt-huit mois de détention pour violences, nourrit les 25 chevreaux et trait les 35 chèvres.

 

Son contrat d’insertion (20 heures hebdomadaires) lui permet d’être rémunéré au smic. Bien plus, donc, qu’en prison (de 20 à 45% du smic). « Moyembrie leur fait découvrir la fierté de percevoir un vrai salaire, alors que nombre d’entre eux ont connu l’argent facile », se réjouit Anne-Marie Pery. Sur un revenu net mensuel de 640 euros, ils doivent en verser 280 pour l’hébergement. De quoi apprendre à gérer son budget. Et couper avec l’univers carcéral.

 

« Rester au « chtar » [prison]jusqu’au bout, c’est idéal pour la récidive : on y apprend de nouvelles combines, observe Grégoire, condamné à deux ans de détention pour vol… en récidive. Et, avec de l’argent, on chope facilement de la drogue et même de l’alcool. » D’où l’utilité d’un endroit où l’ex-détenu peut tenter de se libérer de ses addictions. « Cette ferme est géniale contre le fléau de l’alcool », confirme Fabien, 49 ans, devenu expert en fabrication de fromages et de yaourts. Condamné à sept ans de réclusion pour une agression sur sa concubine, il craint toujours de rechuter. « A cause de cette putain de boisson, j’ai perdu le contact avec mes quatre enfants. » Sa nouvelle compagne, installée à Saint-Quentin (Aisne), attend un bébé de lui pour le 24 décembre.

 

« Je suis une Cocotte-Minute : j’encaisse, puis j’explose, poursuit Denis, un trentenaire condamné à quatre ans de prison pour violences. Je soigne l’alcoolisme par le travail, et avec l’aide d’un psy. » Lui, sa spécialité, c’est la volaille. Il a même fini par s’habituer à l’odeur. Chaque matin vers 7 heures, il nourrit les 280 poules. Plus tard, il ramasse les oeufs. Et met tout le monde aux abris, sur le coup de 21h30, quand le renard commence à rôder…

 

Moyembrie affiche ses succès, mais sans céder à l’angélisme ni revendiquer la recette miracle. En avril, la direction a transmis au juge d’application des peines un rapport sur six ex-détenus pour consommation d’alcool, bagarres et bris de vitres. Sa réponse : retour en prison. « Notre taux d’échec est de 10%, reconnaît Anne-Marie Pery. Mais il n’est pas question de fouiller les chambres, qui doivent demeurer un espace d’intimité retrouvée. C’est grâce à notre confiance que la grande majorité d’entre eux apprend à gérer ses contrariétés et à résister à l’alcool. »

 

La confiance n’empêche pas la fermeté. Et Philippe, l’un des encadrants, n’en manque pas. Ce quinquagénaire au passé de détenu a l’art d’amadouer les arrivants prêts à jouer les caïds. Il sait leur rappeler ce qu’ils risquent de retrouver en cas de sortie de route : les cellules bondées, les parloirs inhumains… Ici, au moins, ils peuvent recevoir des visites le week-end (de 11 heures à 19 heures).

 

Si l’obtention d’un toit, d’une formation ou d’un emploi est essentielle, la reconstruction de la vie sentimentale ou de la relation avec les enfants se révèle souvent décisive pour la réinsertion.

 

Des subventions d’Etat trop faibles pour faire vivre la ferme

 

Tout contact avec le monde extérieur nécessite une approche progressive. Bien des pensionnaires ont l’angoisse du « dehors », où ils redoutent d’être mal perçus. Une fois par semaine, un encadrant les accompagne dans une grande surface pour leurs emplettes. D’autres sorties, culturelles ou sportives, sont également programmées. Sans oublier les livraisons de produits bio à cinq associations de soutien à l’agriculture paysanne. Le reste du temps, ils sont à la ferme. L’après-midi, week-end compris, beaucoup travaillent, même bénévolement, et de manière spontanée.

 

Si ce modèle fonctionne si bien, pourquoi n’a-t-il pas fait davantage école en France, où le nombre de détenus approche les 69000? Sur l’ensemble du territoire, on ne compte qu’un millier de personnes en placement extérieur. C’est deux fois plus qu’en 2005, mais beaucoup moins que les bracelets électroniques, dont le nombre, dans la même période, a grimpé de 2 000 à 11000. L’explication est avant tout financière: un bracelet ne coûte à l’administration pénitentiaire que 11 euros par jour, contre 30 euros pour un placement extérieur et… 95 pour un détenu.

 

Anne-Marie Pery regrette que les prisons de Laon et de Liancourt (Oise) aient épuisé depuis avril leurs budgets pour les placements extérieurs. Quant aux subventions d’Etat, elles sont trop faibles pour faire vivre la ferme. En situation de quasi-faillite en 2012, celle-ci a été sauvée grâce à un prêt d’Emmaüs, au licenciement de trois des huit encadrants, et en poussant plus vite vers la sortie les résidents désireux de rester après leur levée d’écrou. Une manière de rappeler que Moyembrie doit demeurer une étape vers une nouvelle vie.

 

* Les prénoms ont été modifiés

 

Par François Koch

source : lexpress.fr
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