Conseiller d’insertion et de probation, Krieghund côtoie tous les jours des condamnés. Il raconte ses entretiens, bat en brèche les idées reçues sur le sens de la prison et défend les peines en milieu ouvert.
Je ne suis ni philosophe, ni historien, ni psychologue, ni expert. J’ai ma culture personnelle, faite de lectures sans doute mal assimilées ; mes conceptions, mes avis, qui peuvent différer de ceux de mes collègues. Je ne prétends pas avoir la science infuse, et il se peut que parfois/souvent je me trompe. J’espère que l’on me corrigera avec respect et sans animosité, même si Internet étant ce qu’il est, j’en doute.
J’exerce un métier peu connu : conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). On commence à en parler dans les médias, mais surtout quand ça foire. Dans les reportages et films sur la prison, on est inexistants, malgré notre rôle que je crois important. Parler des choses qui fonctionnent, même plus ou moins bien, ce n’est pas la tradition en France.
MAKING OF
Krieghund a commencé à raconter son métier, conseiller d’insertion et de probation, dans les commentaires du blog Semi-Libre.
Dans son coin, il avait rédigé ce long témoignage dont il ne savait pas trop quoi faire. Il a accepté de nous le confier et d’échanger avec Rue89 sur des modifications jusqu’à sa publication. Camille Polloni
Sans être un juriste émérite, je côtoie au quotidien les rouages du monde judiciaire.
Davantage que ceux, de gauche, de droite ou prétendument apolitiques, qui critiquent sur Internet ou ailleurs la justice ou la police. C’est l’un ou l’autre : soit les flics sont des fachos, soit les juges sont des laxistes (mais jamais les deux en même temps). Il y a ceux qui condamnent sans pitié les délinquants et ceux qui les idéalisent, les plaignent ou les victimisent.
Quand on est confronté chaque jour à la réalité, on essaie d’avoir une position plus mesurée que Dédé du café du commerce, qui cause du dernier fait divers médiatisé entre deux ballons de rouge. Ou bien on devient plus cynique… Chacun sa personnalité.
Mes propos n’engagent que moi
Pour parler de la hiérarchie ou de l’administration en elle-même, adressez-vous aux syndicats, merci. Je ne suis pas là pour les critiquer, mais pour décrire un métier, avec ma vision personnelle. Je ne suis ni encarté, ni syndiqué.
Ma connaissance est parcellaire, uniquement basée sur mon expérience. Elle ne saurait retraduire le quotidien de mes collègues. De La Couneuve à Guéret, les conditions de travail, le public suivi, les moyens et la charge de travail diffèrent. Cela se reflète dans le quotidien et dans nos rapports avec les condamnés.
Commençons par quelques chiffres et termes usuels, histoire de saisir la situation et comprendre la suite. Avoir tout cela en tête est utile quand on parle de dysfonctionnements de la justice, ou même de ce qui est possible ou non.
67 000 personnes sont aujourd’hui incarcérées en France, pour 57 000 places. Il y a une proportion de personnes incarcérées dans la population supérieure à toutes les époques précédentes (et vlan pour le prétendu laxisme de la justice !).
Quand on évoque « la surpopulation carcérale », ce sont surtout les places en maisons d’arrêt qui manquent. Dans certaines, on a 960 détenus pour 500 places. On appelle la prison « le milieu fermé ».
On ne parle que des actes graves
180 000 personnes sont « placées sous main de justice sans écrou », c’est-à-dire condamnées mais en liberté, soumises à des régimes divers :
sursis avec mise à l’épreuve,
suivi socio-judiciaire,
liberté conditionnelle,
placement sous surveillance électronique, etc…
On parle ici de milieu ouvert.
40% des personnes suivies en milieu ouvert le sont pour des délits routiers (conduite sans permis, sans assurance ou en état alcoolique), liés à une conduite à risque mais sans aucune victime. Ce sont ces délits qui ont le plus fort taux de récidive/réitération, à l’inverse des délits sexuels, où le taux de récidive/réitération est ridiculement faible.
Parmi les 180 000 condamnés suivis, on ne parle à la télévision que des quelques cas où l’un d’eux commet un acte grave. En oubliant les dizaines de milliers d’autres avec qui tout se passe normalement, sans récidive.
Un gros turn-over dans certaines régions
Pour suivre tout ce monde-là, nous sommes environ 3 200 conseillers. Chacun suit en moyenne 75-80 dossiers. Avec des différences notables selon les régions : 70 pour certains conseillers, 150 pour d’autres.
Ne croyez pas que les zones de grande délinquance soient les pires. En raison d’une pénurie de CPIP ou de locaux inadaptés, les départements ruraux sont souvent plus surchargés que Marseille ou le 93.
Le sous-effectif chronique des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) est aggravé par un très gros turn-over dans certaines régions (banlieue parisienne, nord ou Picardie). Pas par difficulté dans le suivi des publics – on est des passionnés – mais pour des convenances personnelles.
Quand on vient de Bordeaux et qu’on se retrouve à Valenciennes, même si les gens du Nord sont accueillants, on veut retourner en Gironde. En conséquence, les équipes sont souvent jeunes, sortent juste de l’école et manquent d’expérience.