Barack Obama lance la refonte de la justice pénale

Il fallait un symbole. Barack Obama l’a trouvé. Jeudi 16 juillet, il a été le premier président en exercice à visiter une prison fédérale. Il avait choisi le pénitencier d’El Reno, dans l’Oklahoma, un établissement de sécurité moyenne, où il a rencontré six détenus soigneusement sélectionnés.

Souvent accusé de ne pas avoir travaillé davantage à corriger les injustices qui frappent les Afro-Américains, Barack Obama a lancé un ambitieux projet de réforme de la justice pénale. Débarrassé de toute contingence électorale, il ne craint plus de dire les faits crûment : « Le système est particulièrement biaisé par l’argent et la race. Un corpus grandissant d’études montre que les personnes de couleur ont plus de chances d’être arrêtées, fouillées, interrogées, inculpées, détenues. » Et les Noirs « ont plus de probabilités d’être condamnés à des peines plus lourdes pour les mêmes crimes ».

« Est-il raisonnable d’enfermer autant de gens seuls dans des cellules minuscules pendant 23 heures sur 24 ? »

Après avoir gracié 46 détenus condamnés à des peines allant de 20 ans de réclusion à la perpétuité pour des affaires de drogue sans violence, M. Obama a mis en cause le recours systématique à l’isolement, maintes fois dénoncé par les organisations humanitaires (80 000 détenus concernés sur un total de 2,2 millions). « Pensons-nous vraiment qu’il est raisonnable d’enfermer autant de gens seuls dans des cellules minuscules pendant 23 heures sur 24 ? » s’est-il interrogé. Et ce « pendant des mois, voire des années ? ».

Un système « cassé »

Devant le congrès annuel de la NAACP, l’association de défense des Noirs créée en 1909, il a décrit le 15 juillet un système de justice pénale « cassé ». Les Etats-Unis abritent 5 % de la population mondiale mais 25 % de la population carcérale, a-t-il rappelé. « Imaginez ! Notre taux d’incarcération est quatre fois plus important que celui de la Chine. Nous avons plus de gens derrière les barreaux que les 35 plus grands pays européens combinés. » Le président a chiffré à 80 milliards de dollars par an (74 milliards d’euros) le coût de ce que même les républicains désormais appellent « l’incarcération de masse ». Avec une telle somme, « nous pourrions doubler le salaire de tous les professeurs du secondaire », a-t-il décrit. Ouvrir des écoles maternelles « pour tous les enfants de 3 et 4 ans. Eliminer les frais de scolarité dans toutes les universités publiques ».

Depuis 1980, la population carcérale a quadruplé aux Etats-Unis. Elle a doublé pendant les vingt dernières années. Principale responsable : la « guerre contre la drogue » lancée en 1982 par Ronald Reagan. Officiellement, il s’agissait de répondre à l’épidémie de crack dans les « inner cities », les centres urbains déshérités. Mais dans un livre paru en 2010 (The New Jim Crow) devenu la bible du mouvement de réforme, l’universitaire Michelle Alexander a montré que le slogan avait en fait précédé l’explosion du crack. L’initiative participait surtout de la « Southern Strategy » des républicains, accuse-t-elle : l’exploitation à des fins électorales des peurs raciales nées de la déségrégation des années 1960-1970.

Peines automatiques

En 1994, Bill Clinton a fait adopter une loi imposant un système de peines automatiques, très lourdes dans les cas de récidive, dit « three strikes and you’re out » (« trois fautes et vous êtes sortis du jeu »). Dans un aveu extraordinaire, l’ancien président a reconnu le 16 juillet que la loi, tout en ayant enrayé la criminalité, avait « aggravé le problème » en infligeant des peines « beaucoup trop longues » aux petits délinquants. « Et je tiens à l’admettre », a-t-il dit.
Vingt ans plus tard, alors que la criminalité reste au plus bas, des Etats comme la Californie, le Texas et New York ont montré qu’il était possible de réduire à la fois les taux d’incarcération et de délinquance. Les mentalités ont changé, notamment du côté des républicains sensibles à l’argument du coût du tout-carcéral.

« Si vous êtes un petit dealer, vous avez une certaine dette à l’égard de la société. Mais pas une dette de vingt ans ! »

A la Chambre, un projet de loi, dit « SAFE Justice Act », a été déposé par le républicain Jim Sensenbrenner et le démocrate Bobby Scott. Soutenu par M. Obama, il prévoit une réduction des peines automatiques imposées par la loi de 1994, rend une certaine latitude aux juges pour apprécier les situations individuelles, et crée des tribunaux spécialisés dans les affaires de drogue. « Si vous êtes un petit dealer ou un individu qui viole sa liberté conditionnelle, vous avez une certaine dette à l’égard de la société, a justifié l’ancien professeur de droit qu’est M. Obama. Vous devez répondre de vos actes. Mais vous n’avez pas une dette de vingt ans ! Vous n’avez pas une dette de prison à perpétuité ! »

« Convergence rare »

Le mouvement rapproche maintenant des bords aussi divers que la gauche et les frères Koch, les milliardaires du pétrole, ex-financiers du Tea Party. Le 15 juillet, les auditeurs de la radio progressiste Democracy Now n’en ont pas cru leurs oreilles. L’avocat de Koch Industries, Mark Holden, un proche de Charles Koch, était l’invité du jour. La réforme du système pénal se justifie « sur le plan moral, constitutionnel et budgétaire », a-t-il expliqué. Devant la NAACP, Barack Obama a même félicité les Koch, des industriels qui avaient juré sa perte il y a moins de quatre ans.

« Nous sommes au milieu d’une convergence rare. Depuis trente ans, démocrates et républicains faisaient de la surenchère : à qui mettrait le plus de gens en prison », explique Van Jones, un ancien conseiller de Barack Obama, dont l’association #Cut50 plaide pour réduire la population carcérale de 50 % en dix ans.

Le consensus autour de la justice pénale est une nouvelle illustration de l’alliance libertariens-gauche. Ces « compagnons de route improbables », comme les a qualifiés Barack Obama, sont en train de faire évoluer les Etats-Unis sur nombre de sujets de société, de la peine de mort à l’intégration des homosexuels dans l’armée ou la légalisation de la marijuana.

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