Au Journal officiel du 14 mars 2018, le Contrôleur général a publié un avis relatif aux modules de respect dans les établissements pénitentiaires. Cet avis a été transmis à la ministre de la justice pour qu’elle puisse formuler des observations. Au jour de la publication de cet avis, aucune réponse n’était parvenue au CGLPL.
Des établissements pénitentiaires français se sont inspirés du modèle espagnol de « módulos de respeto » pour expérimenter des « modules de respect », dispositifs qui ont pour objectif de : « diminuer les violences, apaiser le climat en détention, définir des nouvelles règles de respect des personnes et de la vie en détention, redonner du sens aux métiers pénitentiaires, intégrer le surveillant dans une équipe de détention, modifier le comportement des personnes détenues (respect des règles de vie en détention, hygiène, bruit, violence) et rendre la personne détenue responsable de sa vie en détention »[1].
Le centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan a été le premier à implanter en 2015 un tel module. Aujourd’hui dix-huit prisons en ont ouvert et vingt établissements supplémentaires ont le projet d’installer un tel module entre 2018 et 2020. Il a semblé important au Contrôleur général des lieux de privation de liberté d’étudier ce dispositif en cours de déploiement et de formuler des recommandations. Pour se faire le CGLPL a visité quatre établissements : les centres pénitentiaires de Mont-de-Marsan, Beauvais et Riom, ainsi que la maison d’arrêt de Villepinte.
Un nouveau régime de détention au bilan globalement positif mais plus favorable en maison d’arrêt qu’en centre de détention
Le CGLPL considère que le régime de respect est un dispositif intéressant en ce qu’il promeut l’autonomie des personnes et allège les contraintes sécuritaires. Le climat en détention est apaisé, les violences ont diminué. Les surveillants exercent leur métier de manière différente et plus valorisante, ce qui génère une plus grande satisfaction au travail.
En maison d’arrêt, où le régime ordinaire est celui des portes fermées, intégrer un régime de respect signifie une circulation permise hors de la cellule, une diminution de la dépendance aux agents, un accès facilité au téléphone et à l’information relative à la vie quotidienne, le renforcement du respect mutuel, la valorisation des initiatives personnelles, la reconnaissance des individualités et l’atténuation du choc de l’incarcération. Les droits fondamentaux en sont renforcés.
En revanche, dans les centres de détention, intégrer un régime de respect ne génère pas nécessairement un meilleur exercice des droits fondamentaux. Orientés vers la réinsertion, les centres de détention appliquent depuis longtemps le principe du régime ouvert ou des régimes différenciés (secteurs ouverts et fermés). En mettant en place un régime de respect, certains établissements ont fait disparaître le régime en portes ouvertes. La juxtaposition de deux régimes seulement – fermé et ouvert en respect – participe d’une tendance à la fermeture des portes en centre de détention. Le régime de respect ne doit pas être un prétexte pour faire disparaître le régime ouvert mais doit être pensé comme un régime supplémentaire.
Des améliorations sont toutefois nécessaires pour définir et harmoniser le régime
Intitulé « contrat d’engagement » le document soumis à la signature de la personne détenue est en réalité l’acceptation d’un règlement intérieur, l’administration n’y décrivant pas ses propres obligations. Ce « contrat », prévoyant 15 à 25 heures d’activités hebdomadaires obligatoires, est d’amblée faussé car aucun des établissements visités n’est en mesure de proposer le quota d’activités défini. En outre le déploiement de ces activités se heurte souvent à un manque d’espace disponible et leur caractère contraint peut conduire à une détérioration de leur qualité. Les termes du « contrat » devraient être repensés pour s’adapter aux réalités des structures et aux individus concernés ; l’administration doit développer les activités pour l’ensemble de la population pénale.
Les personnes détenues sont censées faire l’objet d’une évaluation hebdomadaire, sur la base d’observations quotidiennes en réalité souvent lacunaires. Ces observations donnent lieu à l’octroi de bons et mauvais points, parfois très peu circonstanciés et sans procédure contradictoire. Sans qu’il soit besoin de recourir à la notion de points, infantilisante pour les personnes détenues et d’un usage paternaliste et malaisé pour les agents, la simple présence du personnel au sein des unités de vie doit permettre de réguler les comportements, prévenir les violences et maintenir un climat apaisé. Tout manquement au règlement susceptible d’entraîner des conséquences préjudiciables doit donner lieu à la rédaction d’observations précises et contradictoires. La formation du personnel, l’uniformisation des pratiques et l’affirmation du rôle de l’encadrement revêtent à ce titre une importance certaine.
La plupart des établissements allouent des récompenses à l’issue d’un cumul de points positifs, il peut s’agir de l’octroi d’avantages matériels ou de facilités de communication avec les proches. Ce second type d’avantage constitue une rupture d’égalité de traitement au regard du droit au maintien des relations extérieures. Un système de récompenses ne doit pas porter sur les droits fondamentaux des personnes détenues.
Une occasion de repenser les régimes applicables dans les établissements pénitentiaires
En régime fermé, les personnes détenues, dépendantes de la disponibilité et de la bonne volonté des agents pénitentiaires pour les gestes les plus anodins sont confrontées à un sentiment de déconsidération et de frustration à chaque fois que leurs demandes tardent à être satisfaites ou ne le sont pas. Des tensions naissent puis s’exacerbent, s’incarnant parfois dans une violence qui alimente à son tour une spirale négative incluant défiance, crispation des positions, réduction des interactions, fermeture accrue des portes.
A l’inverse, dans le régime de respect, les personnes détenues n’ont plus besoin de crier pour communiquer ou de recourir à des systèmes illicites pour échanger des objets. Les personnes sont autorisées à proposer, organiser et animer des ateliers éducatifs, culturels, sportifs et de loisirs, qui peuvent même se dérouler les samedis et dimanches. Ceci augmente mathématiquement le nombre d’activités possibles dans le bâtiment et elles sont fréquentées avec plus d’assiduité et d’engagement personnel. Les personnes peuvent déambuler librement en détention ; mieux informées de leurs droits, elles peuvent davantage en solliciter le bénéfice. La responsabilité communautaire du nettoyage des locaux les conserve mieux entretenus. Aucune zone n’est de non-droit, cours de promenade comprises. Les agents, investis, en retirent un sentiment de sécurité et une motivation renouvelée à occuper leur fonction.
Les modes d’organisation créent puis alimentent un cercle vicieux en régime fermé, un cercle vertueux en régime de respect. Finalement, le régime de respect enclenche un changement global des comportements. Il renforce l’attention portée aux personnes par l’administration ainsi que celle que les personnes se portent entre elles.
Le régime ouvert, moins contraignant que le régime de respect, s’applique en centre de détention – c’est-à-dire à l’égard de personnes condamnées à des peines d’une durée conséquente – alors que les personnes incarcérées en maison d’arrêt – c’est-à-dire essentiellement des personnes condamnées à des peines plus courtes, en attente d’affectation dans ces mêmes centres de détention ou bien toujours présumées innocentes – sont soumises à un régime fermé. On peut s’interroger sur la logique perpétuant le régime de portes fermées comme régime de base en maison d’arrêt.
Les expérimentations observées ont établi que le régime de respect autoproduit de l’ordre en maison d’arrêt. Il devrait être étendu en tant que régime de base au sein des maisons d’arrêt, convertissant l’affectation en régime fermé en exception dûment motivée (nécessités de l’instruction, incidents disciplinaires graves, etc.).