LE MONDE | | Par Jean-Baptiste Jacquin
Le coup de pouce budgétaire dont le ministère avait bénéficié en 2017 est amputé de plus de la moitié.
C’est un peu comme si, à peine avoir sorti la tête de l’eau, on lui faisait de nouveau boire la tasse. La justice, malade d’un sous-investissement chronique depuis quinze ans en France, entrevoyait une sécurisation de ses ressources. Le premier ministre n’avait-il pas annoncé, mardi 4 juillet, lors de son discours de politique générale, une loi de programmation quinquennale ? Patatras, une semaine plus tard, Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, prévient dans Le Parisien que la justice devra faire des économies d’ici à la fin de l’année.
Certes, au regard du plan de 4,5 milliards d’euros d’économies annoncé par Bercy, les 160 millions d’euros demandés à la justice semblent un effort minime. Dans l’entourage de Nicole Belloubet on dédramatise, affirmant que « la ministre est solidaire des efforts du gouvernement ». Selon M. Darmanin, l’effort demandé à la justice portera « essentiellement [sur] des programmations immobilières ». « L’ensemble des programmes du ministère seront mis à contribution », précise-t-on à la chancellerie.
Mais 160 millions d’euros, c’est une potion aussi amère que les 850 millions d’euros demandés au ministère de la défense au regard de leurs budgets respectifs. Surtout, c’est plus de 50 % du coup de pouce que la justice avait arraché pour son budget 2017 qui part ainsi en fumée. Un véritable chiffon rouge qui n’a pas tardé à faire réagir les syndicats de magistrats, à l’unisson.
Selon l’Union syndicale des magistrats, le gouvernement « s’engage délibérément dans la voie de la clochardisation de l’institution judiciaire dont nous tentions difficilement de sortir ces derniers mois ». « Non, les dépenses immobilières du ministère de la justice ne relèvent d’aucun confort, proclame de son côté le Syndicat de la magistrature dans un communiqué, mais de la nécessité d’accueillir le public dans des conditions minimales de dignité et d’offrir au personnel des conditions de travail décentes. Il est inadmissible que les rats pullulent dans les cellules, qu’il pleuve dans les salles d’audience et les bureaux et que les personnes handicapées ne puissent pas entrer dans les tribunaux. »
Aucune marge de manœuvre
Les dépenses immobilières sont régulièrement les premières touchées lorsqu’il s’agit de faire des économies. D’abord parce que cela est socialement plus acceptable que des réductions de personnel. Ensuite parce qu’il s’agit de montants importants faciles à couper, contrairement à des rationalisations budgétaires plus complexes à mettre en place et susceptibles de remettre en cause des habitudes. C’est pourtant ce qu’avait entrepris Jean-Jacques Urvoas en réorganisant début 2017 le ministère de la justice autour d’un secrétariat général renforcé, doté de davantage de pouvoir transversal dans la gestion des missions.
L’équation immobilière du ministère de la justice est de plus en plus contrainte en raison du recours massif aux partenariats publics privés pour construire les prisons. La chancellerie n’a aucune marge de manœuvre sur ces dépenses prévues contractuellement. Les ajustements budgétaires se font donc sur une part plus réduite de son parc immobilier, et donc de façon plus violente. A force de repousser les investissements non urgents de rénovation de palais de justice tout aussi décrépis que certaines prisons, la situation est aujourd’hui critique.
C’est ce qui vaut par exemple à l’Etat d’être poursuivi, hasard du calendrier, ce mercredi 12 juillet, devant le Conseil d’Etat pour les conditions de détention à la prison de Fresnes. Pour l’Observatoire international des prisons, la surpopulation carcérale ajoutée à l’insalubrité des locaux conduit la France à violer la Convention européenne des droits de l’homme pour « traitement inhumain ou dégradant ». Identifiée par le ministère dès la fin des années 1990 parmi les grandes rénovations immobilières à engager, celle de la maison d’arrêt de Fresnes a toujours été repoussée.
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