Attentats du 13 novembre : première rencontre entre des familles de victimes et les juges

Par  Cécile Bouanchaud,

Dans les jours qui suivirent les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, c’est dans ce lieu historique que des familles éplorées se regroupèrent, cherchant éperdument, et parfois en vain, des nouvelles de leurs proches présents au mauvais endroit au mauvais moment. Six mois après, des familles de victimes retournent à l’Ecole militaire, à Paris, où fut centralisée la liste des cent trente morts et quatre cent treize blessés.

Pour la première fois, elles y rencontreront, à partir de mardi 24 mai et durant trois jours, les six juges d’instruction chargés de l’enquête. Les parties civiles espèrent que cette réunion officielle avec la justice permettra « la manifestation de la vérité ». Et marquera le début du « processus de deuil ».

Mille dix parties civiles

Ce rendez-vous entre des victimes et des juges d’instruction est devenu la norme pour les catastrophes de grande ampleur, comme le crash du vol Rio-Paris, en 2009, l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), en 2013, ou l’attentat à Charlie Hebdo, en janvier 2015. Mais jamais des magistrats n’avaient eu à recevoir autant de victimes. Mille dix personnes se sont constituées parties civiles dans ce dossier tentaculaire.

« Cette rencontre est d’une ampleur sans égale », prévient Juliette Méadel, la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes. Pour éviter un engorgement du palais de justice de Paris, la rencontre se déroulera donc dans un amphithéâtre de l’Ecole militaire, spécialement aménagé et pouvant accueillir près de six cents personnes. Mardi, une journée d’échanges est prévue avec les proches de victimes des attaques contre les terrasses parisiennes et au Stade de France. Les 25 et 26 mai, les magistrats recevront ceux de la salle de concert du Bataclan.

Du côté du secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes, on craint que la médiatisation de ces journées ne suscite l’envie de certaines victimes ne s’étant pas constituées parties civiles d’être présentes. « Nous tenons à accompagner chacune des victimes, même celles qui ne pourront pas assister aux rencontres avec les juges d’instruction », rassure Mme Méadel. Ces dernières n’auront pas droit de cité à l’Ecole militaire, mais elles pourront être prises en charge par une équipe de juristes et de psychologues, susceptibles de les diriger vers l’association Paris aide aux victimes.

Un risque de « flambée traumatique »

Pour toutes les familles, les autorités ont prévu un dispositif de soutien psychologique, assure Mme Meadel.

« Nous sommes vigilants au risque de “flambée traumatique” pour certaines victimes. L’évocation des faits peut faire ressurgir des souvenirs douloureux. »

Car, pour certaines victimes, l’enfer des attentats du 13 novembre est une réalité du quotidien. « Certains n’ont pas dormi d’un sommeil plein et serein depuis six mois. D’autres n’ont pas repris le travail, ayant trop peur de sortir de chez eux. Il y a ceux qui se “shootent” de médicaments pour affronter le quotidien. Et ceux qui revivent inlassablement la soirée des attaques », détaille Me Samia Maktouf, qui représente dix-sept familles.

Les thèmes de ces réunions risquent de raviver des souvenirs encore vifs pour ces familles, qui réclament notamment d’avoir accès aux examens médicaux des médecins légistes. « L’une des questions qui reviennent le plus souvent est de connaître le contexte de la mort de leurs proches : comment sont-ils morts ? Ont-ils souffert ? Il est important de répondre à ces questions, pour la mémoire des disparus, et surtout pour entamer véritablement le processus de deuil », dit Me Maktouf.

Selon Georges Salines, président de l’association 13 novembre : fraternité et vérité, la liste des interrogations des familles est longue. « Comment s’organise le travail avec les instructeurs belges ? Est-ce que Mohamed Abrini va pouvoir être interrogé en Belgique ou en France ? Combien de personnes peuvent être jugées responsables et donc être poursuivies ? Est-ce que l’on peut dire que la cellule franco-belge est démantelée et mise hors d’état de nuire ? », énumère le médecin, endeuillé par la mort de sa fille Lola, éditrice de 29 ans, au Bataclan.

Le cas Abdeslam au cœur des tensions

Mais le point du dossier qui cristallise bien des questions — et jusqu’ici des déceptions — repose sur le cas de Salah Abdeslam. Le seul membre des commandos parisiens encore en vie a fait valoir vendredi son droit au silence, refusant de répondre aux premières questions du magistrat. « On en sait davantage sur son prétendu désir de coopération avec la justice. Les promesses qu’il a faites en ce sens ne nous semblent absolument plus crédibles », déplore Me Olivier Morice, avocat de trente-cinq des parties civiles.

« Nous souhaitons savoir la position que vont adopter les magistrats instructeurs face à Salah Abdeslam : vont-ils laisser passer le temps ou avoir une démarche plus active ? », questionne George Salines, dont l’association regroupe près de cinq cents victimes et familles de victimes. C’est sur ce point que la rencontre avec les juges d’instruction risque d’achopper, pense Juliette Méadel :

« Il pourra y avoir, pour les victimes, une forme de déception dans un contexte où Salah Abdeslam a refusé de s’exprimer. »

Pour autant, la secrétaire d’Etat estime que ces réunions sont salutaires et dépassent la seule visée symbolique. « Ces rencontres ont une portée pédagogique qui doit aider les victimes à connaître l’état d’avancement des investigations et à comprendre la stratégie des magistrats instructeurs. Ces trois journées participent au processus de reconstruction, car on met des mots sur ce qui s’est passé », résume-t-elle.

Si le fait d’avoir « un contact sans intermédiaire avec les juges instructeurs » constitue une étape importante pour les victimes et pour leurs proches, ces derniers ont conscience que ce point sur l’enquête « ne va rien révéler qui outrepasse le secret de l’instruction », dit Georges Salines, pour qui ces rencontres dépassent le cadre des attentats et doivent permettre « que ça ne se reproduise plus ». Et de conclure : « Pour le reste, ça ne va pas me rendre ma fille. »

Retrouvez cet article sur Le Monde.fr

 

Partagez :