Le Monde.fr | Par Yves-Michel Riols
Le président François Hollande reçoit, lundi 21 mars à l’Elysée, les associations d’aide aux victimes des attentats de 2015. Cette rencontre, évoquée de longue date, a lieu à un moment où les organisations représentant les familles des victimes redoutent de ne plus être entendues, après l’élan de compassion nationale qui a suivi les événements sanglants de novembre.
Depuis le début des auditions de la commission parlementaire sur les attentats de novembre, qui ont débuté le 15 février, les plaintes des victimes se focalisent essentiellement sur trois domaines : des informations contradictoires, une absence de coordination administrative et une écoute défaillante.
Ce discours est omniprésent, et Juliette Méadel, la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, qui reconnaît dans un entretien au Monde des « loupés administratifs » et la nécessité de « simplifier les procédures », incite à ne pas noircir le tableau. Elle a réitéré son engagement à régler, d’ici à la fin 2016, tous les dossiers de demande d’indemnisation.
Avalanche de griefs
Cet appel à la nuance et à la retenue dans les critiques de l’action publique est peu audible face à la douleur des victimes, hypermédiatisée. Toutefois, quatre mois après les attentats de novembre, une certaine réticence est palpable chez les intervenants mobilisés pour gérer les retombées du 13 novembre. La plupart l’expriment mezza voce pour ne pas heurter les victimes, mais, face à l’avalanche de griefs, le malaise est perceptible.
« Je ne me retrouve pas dans ce discours sur le chaos et l’abandon », remarque Sabrina Bellucci, la directrice de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem), une fédération d’associations de soutien aux victimes, associée dès les premières heures du 13 novembre à la cellule interministérielle, créée dans la foulée des attentats de janvier 2015. « Nous sommes dans une époque où les autorités sont dans l’empathie. Plus elles tentent de répondre aux attentes, plus elles en suscitent », constate un responsable ministériel.
Tous évoquent les conditions inédites dans lesquelles les secours se sont mis en place : des explosions multiples, sur plusieurs sites et un nombre sans précédent de victimes. « Tout le monde a été pris de court par l’ampleur des attentats, ce n’était pas imaginable », constate Stéphane Casati, l’un des 180 membres de la Croix-Rouge aussitôt mobilisés. « Même s’il y a eu des erreurs et de la confusion, le bateau a flotté », poursuit un haut fonctionnaire, sur le pont dès le début de la crise. Ce qui était loin d’être joué d’avance.
Treize mille huit cents appels en deux semaines
Au fur et à mesure que la portée des événements s’est précisée, un dispositif a rapidement été élaboré sous la houlette de la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV), piloté par le Quai d’Orsay, avec l’appui de plusieurs associations aguerries aux situations d’urgence – Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), Inavem, Croix-Rouge, etc. Les appels ont été tous dirigés vers le centre de crise du Quai d’Orsay, un lieu d’accueil pour les familles a été ouvert à l’Ecole militaire et l’identification des victimes a été confiée à l’Institut médico-légal.
Ensuite, « tout le monde a fait de son mieux », souligne Rosine Duhamel, responsable du soutien psychologique de la Croix-Rouge, présente dès le début au Quai d’Orsay, qui a traité 13 800 appels en deux semaines. « Les gens étaient terrorisés, certains nous appelaient même pour savoir s’ils pouvaient sortir de chez eux pour acheter du pain », se souvient un fonctionnaire.
« Si ces attentats avaient eu lieu ailleurs en Europe, je ne pense pas qu’il y aurait eu le quart de ce qui a été fait en France, renchérit Sabrina Bellucci. A un moment donné, il faut avoir l’honnêteté de dire que l’on a un Etat qui a beaucoup agi et qui continue d’agir. » En l’espace de seulement trois mois, par exemple, 25,3 millions d’euros ont été versés à 1 765 victimes par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Cette somme est loin d’être négligeable. Elle a été distribuée avec une relative célérité, qui n’est pas toujours de mise dans d’autres circonstances.
Décalage entre le temps des victimes et celui des institutions
La plupart des plaintes portent sur des problèmes de continuité et de coordination entre les administrations mobilisées pour gérer cette crise. « Il existe toujours un flou sur la prise en charge des soins », déplore notamment Emmanuel Domenach, de l’association 13 novembre : fraternité et vérité, fondée en janvier par le médecin Georges Salines, dont la fille est morte au Bataclan.
La CIAV a officiellement passé le relais, le 8 décembre 2015, aux associations spécialisées dans le soutien aux victimes. Celles-ci sont désormais en première ligne et s’inquiètent également des carences apparues au fur et à mesure. « Lorsque la CIAV a fermé, chacun est reparti avec ses listes de victimes », constate Sabrina Bellucci. De plus, dit-elle, « nous avons manqué d’outils de gestion en commun qui auraient évité des situations tragiques, lorsque des décès ont été annoncés trois ou quatre fois à des familles ».
Autant de pistes qui sont aujourd’hui explorées par le comité de suivi interministériel pour perfectionner le fonctionnement de la CIAV, au cas où il serait à nouveau sollicité.
Les associations de soutien sont les premières à pointer ces insuffisances, mais elles récusent le procès en incompétence parfois adressé aux autorités. Elles soulignent qu’il y a forcément un décalage entre le temps des victimes et celui des institutions.
« La priorité, aujourd’hui, n’est pas de céder aux récriminations, mais de rester solidaires, dit avec insistance Sabrina Bellucci. Sinon, nous risquons de semer la division recherchée par les terroristes. »