Amour en prison : la «belle histoire» de Louise

Dans son livre « L’amour (fou) pour un criminel » (Le Cherche Midi, 2015), Isabelle Horlans décrypte le phénomène de ces femmes qui «plaquent tout pour aimer voire épouser » un prisonnier.

Aux Etats-Unis, ces liaisons s’exposent. En France, elles se taisent. Sous couvert d’anonymat, Louise, 45 ans, ancienne psychologue pour l’administration pénitentaire, raconte au Parisien/Aujourd’hui en France comment sa « belle histoire » avec Hugo, 52 ans, braqueur et meurtrier, a bouleversé sa vie. Récit.

Une histoire d’amour avec un détenu ? Pour Louise*, psychologue pour l’administration pénitentaire (AP) depuis treize ans, en poste au sein d’une maison centrale, cela relevait «presque du mythe», en tous cas «de l’ordre de l’impossible».

Des sollicitations en prison, cette professionnelle aguerrie, également juriste de formation, en avait bien sûr reçu au fil de son travail d’accompagnement de projets auprès des détenus ou de formation des personnels. «Dans un milieu d’hommes, fermé, un lieu de frustrations, une femme qui vous écoute, cela fait naître des choses», explique-t-elle. Alors, au condamné qui s’abandonnait à lui livrer un sentiment amoureux, elle rétorquait qu’il l’était «d’une image», de ce qu’elle représentait, mais pas d’elle. «On en parlait, je rétablissais, et cela fonctionnait bien.»

« J’ai compris que quelque chose basculait »

Puis début 2009, à la grille de détention, Louise rencontre Hugo*, un détenu qui souhaitait un entretien et dont elle avait égaré les courriers. Elle a 39 ans, lui 45. Condamné pour braquage et pour meurtre dans le cadre d’un règlement de comptes, il a purgé dix des trente années de sa peine. «Il était là depuis un an et demi. Je ne l’avais pas vu à son arrivée, alors que je vois tous les arrivants, et il n’avait pas le profil de quelqu’un qui recherche une psychologue. Mais lui, il m’avait vue… Il s’était renseigné, il avait demandé qui j’étais et ce que je faisais.» Rendez-vous est pris, d’autres suivent. «D’emblée, le contact a été particulier», confie-t-elle.

Mariée, mère de trois enfants, «bien dans (sa) vie de couple», Louise ne peut dire quand, exactement, elle est tombée amoureuse du prisonnier. «J’ai compris que quelque chose basculait parce la relation n’était pas habituelle. J’avais des conversations avec lui comme avec un ami dehors. On parlait cuisine, paysages, voyages… De ce qui fait la vie.» Le trouble perdure. «J’avais envie de le retrouver. J’en éprouvais du plaisir. Nos discussions duraient de plus en plus longtemps.»

« Le sentiment de devenir fou »

Hugo parvient à la convaincre qu’ils se tutoient. Quelques mois plus tard, il lui déclare sa flamme. «Je lui répétais que c’était impossible. Tu es détenu ! Il me répondait, vexé : « Mais je suis d’abord un homme ».» Elle soupire : «J’ai compris très vite vers quel cataclysme cela m’entraînait. J’avais l’impression de mourir et je ne m’étais jamais senti autant en vie. Je savais que j’allais faire exploser mon existence et celles d’autres, mais je n’avais pas envie de renoncer à ce que je ressentais.»

Dans sa tête, Louise compartimente «ses» vies – «une petite vie avec lui, une autre avec l’institution, ma vie de couple et de mère». Mais, épuisée par son dilemne, comprend qu’il lui faut prendre une décision. «J’étais très seule, il m’était impossible de parler à quiconque. Beaucoup de mes amies étaient des collègues… On a le sentiment de devenir fou. J’ai perdu douze kilos.»

« On a pas eu de contact physique, sinon de se prendre la main »

Au Noël d’après, son choix est fait. «Avec Hugo, l’option était de se préparer. Il fallait que je trouve un autre emploi, et que lui demande son transfert. Les gens commençaient à se poser des questions. Pour ne pas être pris en défaut, on ne se voyait que dans des salles communes ou des bureaux vitrés. Pendant un an et demi, on n’a fait que parler. On n’a pas eu de contact physique, sinon de se prendre la main.» Les mois s’écoulent sans qu’elle réussisse à trouver un autre travail. «J’avais l’impression d’être coinçée dans un étau.»

A l’été 2010, elle emmène ses enfants en vacances dans le sud, où elle rencontre la fille d’Hugo – enfreignant de fait un strict interdit au regard des règles pénitentiaires de sécurité. Au retour, son mari, rongé de doutes, découvre un courrier où le prénom, très singulier, de cette dernière apparaît. «Il a appelé une amie qui travaillait à l’AP. Elle a fait le lien. Et un signalement… A partir de là, tout m’a échappé.»

Parloirs, premières permissions …

Après six mois d’arrêt, Louise démissionne. «L’institution a vécu tout çà comme une trahison. Je n’appartenais plus à leur monde». Elle exerce aujourd’hui en libéral. Elle a divorcé et obtenu la garde alternée de ses enfants. «Il a fallu tout reconstruire.» Avec Hugo, transféré peu après dans une autre prison, elle est passée «de l’autre côté du miroir, côté famille de détenus», sourit-elle. Courriers, coups de fils, parloirs, premières permissions…

Depuis deux mois, son homme bénéficie d’un régime de semi-liberté. «On attrape des moments. On attend le jour où l’on pourra se réveiller ensemble, partir en vacances ensemble, vivre ensemble complètement.» Elle l’assure : «Chaque jour qui s’écoule nous apporte quelque chose de mieux ou de différent.» Et si c’était à refaire ? «Je referais pareil. C’est une belle histoire, forte. D’amour, de vie, de tout… Quel que soit le temps que ça dure.»

« Il y aura toujours des relations qui se noueront »

Louise assure ne jamais avoir eu la sensation d’être manipulée. De Hugo, elle connaissait le dossier, le lourd passé, les actes. «J’ai voulu qu’il m’explique lui-même. Il m’a raconté, sans mentir, sans embellir.» En substance, elle affirme être tombée amoureuse d’une personnalité dont elle admire «la force» et dont elle partage «les valeurs» malgré « des parcours différents ». D’un homme, et pas d’un criminel : «J’ai toujours appris à dissocier la personne de ses actes, sinon je n’aurais jamais pu travailler.» Elle souligne enfin : «Dans les prisons, des gens y vivent, et même si on les prive de beaucoup, ils continuent à éprouver des émotions, des sentiments. Il y a et il y aura toujours des relations qui se noueront. Cà, personne ne peut l’empêcher.»

*Les prénoms ont été modifiés

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