Amnistie des peines très légères : les syndicats pénitentiaires pas convaincus

«Quand une décision de justice a été prise, c’est important de l’exécuter», souligne Charlotte Cloanec, secrétaire générale du SNEPAP-FSU. La proposition de Jean-Michel Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, d’amnistier «les peines de moins de six mois de prison et celles prononcées il y a plus de deux ans», publiée mercredi, afin de lutter contre les prisons surpeuplées n’a pas suscité l’enthousiasme chez les organisations syndicales pénitentiaires, qui se montrent plutôt sceptiques.

 

L’amnistie pose un problème, notamment en ce qui concerne les victimes. «L’amnistie efface la condamnation qui devient non avenue. Cela pose problème par rapport aux victimes, au fonctionnement de la justice et au travail effectué par les services de police et judiciaires», souligne Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du SNDP (Syndicat national des directeurs pénitentiaires).

 

Mais les différents syndicats reconnaissent qu’une incarcération d’une durée inférieure à six mois est dommageable pour les détenus. «On coupe la personne de sa famille, de son travail, de la société. Elle perd tout. Il n’y a pas d’intérêts à faire appliquer de courtes peines. Il faut garder la prison comme ultime recours pour les grosses peines», souligne Marc Astasie, secrétaire général de CGT pénitentiaire.

 

Favoriser la récidive

 

La durée courte et la surpopulation carcérale rendent tout travail sur le détenu impossible. Mais une incarcération suffit à anéantir les efforts des personnes ayant cherché à se réinsérer. «En moins de six mois, on ne peut pas mettre en place une réflexion sur les raisons pour lesquelles la personne est là. Et la surpopulation carcérale empêche le personnel de remplir ses missions. Les conditions de détention y sont également dangereuses en matière de sécurité. Il y a également un risque de récidive pour les peines effectuées tardivement car la personne aura évolué, peut-être trouvé un emploi, fondé une famille. Une sanction trop lourde n’aura pas d’effet dissuasif. Au contraire, cela peut favoriser la récidive», explique Charlotte Cloarec. L’Observatoire international des prisons (OIP) juge également qu’incarcérer pour de courtes peines est «une stratégie dommageable pour la sécurité publique».

 

Une situation loin d’être marginale. Selon l’OIP, une personne en détention sur trois est condamnée à une peine de moins d’un an. Ce type de condamnation concerne souvent des délits routiers.

 

Les syndicats préfèrent que des peines alternatives en milieu ouvert, jugées plus efficaces, comme le travail d’intérêt général, l’obligation de se soigner, de travailler, d’indemniser les victimes ou le port d’un bracelet électronique soient privilégiées pour les peines très légères. L’incarcération devrait être utilisée en dernier recours en fonction de la gravité de la situation ou en cas de récidive. «On peut être puni sans aller en prison. On peut exécuter une peine sans être incarcéré. Il faut adapter le suivi», souligne Charlotte Cloanec.

 

67 000 détenus pour 57 000 places

 

Pour l’OIP, cette proposition d’amnistie «n’est pas la solution idéale mais la plus rapide» pour désengorger les prisons. Une situation devenue urgente. Le nombre de détenus a atteint des records : 67073 pour 57170 places en mai dernier. «Sur 196 établissements, plus d’une centaine sont surpeuplés suite aux peines planchers mises en place et à l’accélération de la mise en application des peines» selon Christophe Marques, secrétaire général de FO pénitentiaire. La surpopulation en maisons d’arrêt, où les courtes peines sont effectuées, peut atteindre entre 150% et 180% selon les établissements d’après l’OIP.

 

Les syndicats pénitentiaires sont unanimes sur les conséquences de cette surpopulation. L’hygiène et la sécurité des détenus sont mis à mal. «Le nombre d’agressions sur le personnel est en augmentation. Les surveillants n’ont plus le temps de parler avec les détenus et de les accompagner en réinsertion. Actuellement, un surveillant s’occupe d’une centaine de détenus. Dans certains établissements, il y a deux à trois détenus dans une cellule de 9m2. Certains dorment sur des matelas posés par terre», rappelle Marc Astasie. Le passage en détention ne favorise pas la prise de conscience. «Au contraire, cela ancre les gens encore plus dans la délinquance. Tout le monde est mélangé en maison d’arrêt. C’est l’image classique de la prison comme école du crime», rappelle Sarah Dindo, co-directrice de la section française de l’OIP.

 

JENNIFER DELRIEUX

source : Libération.fr
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