RAPPORT – FÉVRIER 2018
A quoi doit servir la prison ? La réponse est inscrite dans notre droit : la sanction pénale doit permettre de réinsérer les condamnés dans la société. L’incarcération n’est pas seulement punitive, elle est aussi un sas entre une condamnation et une sortie. Tout doit donc être mis en œuvre pour que cette dernière soit anticipée et réussie. Parce qu’une prison qui ne réinsère pas est préjudiciable à la société tout entière.
Le saviez-vous ? En France, le taux de récidive au sens large est de 40,8 % (chiffre qui prend en compte les récidivistes et les réitérants).
Quelles solutions ? Un détenu formé ou ayant travaillé en prison diminue de près de moitié ses risques de récidiver et renforce ses perspectives de réinsertion. Dix ans après notre rapport Comment rendre la prison (enfin) utile, l’Institut Montaigne, avec la Fondation M6, se penche sur la question du travail pénitentiaire et de la formation en prison. Nous proposons des solutions concrètes pour accompagner au mieux le détenu dans la préparation de sa sortie, pour faciliter l’engagement des entreprises œuvrant en milieu pénitentiaire et pour améliorer la gouvernance du travail pénitentiaire.
Le travail en prison : état des lieux
Le travail en prison : de quoi parle-t-on ?
Historiquement, le travail pénitentiaire s’est toujours inscrit dans une démarche punitive. Depuis 1987, il n’est plus obligatoire en détention. Le travail en prison est désormais un moyen de rendre utile des détenus et de les aider à se réinsérer à leur sortie. Il peut prendre plusieurs formes :
- le service général : les détenus sont employés directement à l’entretien des locaux et au fonctionnement courant de la prison ;
- le travail en ateliers : les prisonniers occupent des activités productives “marchandes” pour des concessionnaires privés ;
- le service de l’emploi pénitentiaire (SEP RIEP) : les détenus réalisent des activités productives “marchandes” pour la régie industrielle des établissements pénitentiaires.
Le lent déclin du travail pénitentiaire
Malgré ses bénéfices avérés en termes de réinsertion, le travail est devenu de plus en plus rare en prison. Ainsi, la part de détenus exerçant une activité rémunérée n’a cessé de diminuer : elle est passée de 46,5 % en 2000 à uniquement 29,2 % des détenus en 2016. A l’heure actuelle, sur les 78 796 personnes incarcérées, moins d’un tiers exerce une activité rémunérée (en moyenne mensuelle).
Ce lent déclin s’est accompagné d’une dégradation de la qualité des tâches réalisées en détention. Celles-ci sont réduites à des activités de façonnage ou d’assemblage qui, à l’extérieur, ont, pour la plupart disparues. Elles ne peuvent donc pas être considérées comme préparant à une vie professionnelle à la sortie.
Si cette diminution du travail en prison s’explique par certaines dynamiques extérieures à l’action des pouvoirs publics – la crise économique de 2008 et les mouvements intenses de délocalisation depuis le début des années 1990 – elle révèle également que le développement du travail en détention ne fait pas partie des priorités stratégiques de l’administration pénitentiaire, ni plus largement des préoccupations de l’opinion publique.
Un contrat ? Quel contrat ?
Le détenu qui occupe un emploi en prison est un travailleur sans contrat. La loi pénitentiaire de novembre 2009 prévoit en lieu et place un « acte d’engagement » professionnel qui doit être « signé par le chef d’établissement et la personne détenue« .
L’absence d’un contrat porte préjudice au détenu et à son employeur potentiel et affaiblit sa perspective de réinsertion. Elle fait que ni les détenus, ni les entreprises, ni l’administration pénitentiaire ne perçoivent le travail en prison comme une première étape d’un parcours professionnel pouvant être poursuivi à l’extérieur. Le détenu y voit sa motivation amoindrie et l’entreprise n’est pas incitée à développer son offre de travail en prison.
Développer et valoriser le travail en prison
Les retombées positives de la formation professionnelle en prison sont nombreuses. Des études montrent que le fait de bénéficier d’une action de formation diminue en moyenne de 43 % la probabilité de retourner derrière les barreaux.
De même, au niveau de la société, les programmes de formation en prison représentent un investissement particulièrement efficace : 1 € investi dans un programme de formation réduit le coût global de l’incarcération de 4 à 5 € dans les trois années suivant la libération, et encore plus au-delà.
Enfin, le bénéfice personnel est immense pour le détenu qui peut parvenir à reprendre confiance en lui, à se réapproprier une discipline de vie, et qui peut avoir le sentiment d’être à nouveau acteur d’un projet collectif.
Penser le projet professionnel en amont
Pour un nombre croissant de détenus, le travail en prison constitue une première expérience professionnelle. Il doit être conçu comme un vecteur essentiel de préparation à la sortie, conformément à la mission de réinsertion dévolue à l’administration pénitentiaire. Cela implique un travail d’orientation des détenus dès leur arrivée en prison et le développement de leurs qualifications professionnelles tout au long de leur peine. Cette double approche doit prendre en compte les contraintes propres aux durées de détention : de court-terme et incertaines en maison d’arrêt ; de moyen, voire long-terme, en centre de détention et maison centrale.
L’orientation d’un détenu vers un établissement pénitentiaire pourrait davantage prendre en compte le projet professionnel de la personne détenue, et lui permettre d’être affectée dans un établissement qui lui donnera accès à une formation spécifique, ou à un type d’emploi qui correspondrait à un parcours professionnel cohérent avec ses compétences et ses aspirations.
La prise en charge professionnelle des détenus à leur arrivée en établissement pénitentiaire pourrait également être harmonisée, améliorée et mieux outillée, en particulier dans les maisons d’arrêt, où le retour à l’emploi est par définition proche, mais où, paradoxalement, peu est fait pour le préparer. De fait, la brièveté de la détention, qui rend plus difficile la mise en œuvre d’actions de qualification structurantes, appelle précisément à investir en priorité le champ de l’orientation professionnelle. Cette démarche doit permettre d’accompagner le détenu dans la construction d’un projet professionnel et personnel qui l’aidera à préparer sa sortie prochaine.
Faciliter la transition vers l’extérieur
Au-delà du recours largement insuffisant aux actions de formation professionnelle en prison, le constat qui domine est celui d’une discontinuité fréquente entre les formations suivies à l’intérieur et les projets professionnels poursuivis à l’extérieur. De fait, la continuité entre les actions pré-qualifiantes menées en prison et l’accès à différentes formations certifiantes dehors, dans le même secteur professionnel, n’est pas assurée. Cette absence de lien entre dedans et dehors au niveau de la formation professionnelle se traduit par des conséquences profondément négatives en accroissant la probabilité de rupture sociale, facteur de récidive.
Le numérique en détention
Peut-on raisonnablement penser qu’il est possible d’amener un détenu vers une qualification professionnelle et un emploi à la sortie en le coupant en détention de tous les outils utilisés à l’extérieur par les entreprises ? Il convient de faire du numérique l’outil majeur de montée en gamme du travail pénitentiaire. Un travail pénitentiaire « connecté » bénéficierait en effet d’un ensemble de tendances positives comme la dématérialisation de certaines procédures, un accès sécurisé à des ressources éducatives ou encore la modernisation des méthodes de travail des détenus et leur autonomisation face à la recherche d’emploi.
Neuf propositions pour faire du travail pénitentiaire un véritable levier de réinsertion pour les personnes détenues
1. Renforcer la formation et l’orientation professionnelle des personnes détenues grâce à des dispositifs adaptés aux durées des peines:
- systématiser l’orientation professionnelle et la pré-qualification pour les courtes peines ;
- développer la formation professionnelle et la VAE (validation des acquis de l’expérience) pour les longues peines ;
- construire des parcours de qualification adossés au travail en concession et au service général.
2. Faire évoluer le travail et la formation professionnelle vers une meilleure préparation à la sortie, au travers:
- de dispositifs de formation professionnelle articulés entre la détention et le dehors et l’alimentation du CPF ;
- de la promotion des structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) en détention ;
- de l’adaptation des dispositifs de l’assurance chômage pour les personnes détenues.
3. Investir dans le numérique en détention pour:
- installer une plateforme numérique dans l’ensemble des établissements, permettant de dématérialiser certaines procédures et d’avoir accès, de manière sécurisée, à des ressources éducatives ;
- développer une offre de travail connectée grâce à des formations dédiées à la programmation informatique en détention. A plus long terme, créer des entreprises de développement web en détention ;
- moderniser les méthodes de travail des détenus en détention, favoriser leur accès à la formation et leur autonomisation face à la recherche d’emploi.
4. Rénover la gouvernance du travail pénitentiaire, en créant:
- en cible une « Agence nationale pour la réinsertion des personnes placées sous main de justice par le travail et la formation professionnelle », en charge de la définition et de la mise en œuvre de la stratégie nationale ;
- à titre transitoire, une structure en « mode projet » pour : mettre en place un dispositif de pilotage du travail pénitentiaire et de la formation professionnelle. Renforcer les relations de la DAP avec ses partenaires extérieurs (ministère du Travail, Pôle Emploi, organisations professionnelles et entreprises, etc.).
5. Professionnaliser les agents de l’administration pénitentiaire sur l’insertion professionnelle et créer une filière dédiée par:
- la formation des directeurs des services pénitentiaires (DSP) ;
- la sélection et la formation de responsables locaux du travail et de la formation professionnelle ;
- La formation professionnelle des surveillants d’ateliers ;
- l’outillage méthodologique et l’appui à la création d’un réseau de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) référents.
6. Définir des indicateurs spécifiquement dédiés au travail pénitentiaire et à la formation professionnelle dans les lettres de mission des directeurs.
9. Valoriser l’engagement social des entreprises qui s’engagent dans le travail en détention au travers de :
- la revalorisation de l’image du travail pénitentiaire ;
- l’incitation des entreprises au travers de la commande publique.
Retrouvez ce résumé et le rapport intégral sur le site institutmontaigne.org