La lecture des préconisations avancées par les principaux candidats (1) à la présidentielle restituées par le service politique du Parisien du 15 février dernier a de quoi dérouter. On reste sur sa faim. On est loin compte, mais vraiment très loin du compte. Manque de réflexion quand pour cette campagne l’insécurité est d’abord explicitement économique et sociale ?
Parfois on confine à l’ignorance. Ainsi quand Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignant ont pour mesure première, sinon unique, d’abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans. On sait que tel était le projet de l’actuel président de la République, mais qu’il a du y renoncer devant deux obstacles majeurs. Tout d’abord les engagements internationaux souscrits par la France en ratifiant la convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant qui veut que la personne de moins de 18 ans est un enfant (artIcle 1) et que l’enfant en conflit avec la loi doit jouir de réponses pénales spécifiques (art. 37 et 40). La deuxième difficulté juridique et même politique tient au Conseil constitutionnel qui en 2002 a donné valeur de principe constitutionnel à la majorité pénal fixée à 18 ans par la loi de 1906. Fermez le ban : on ne peut pas abaisser la majorité pénale.
Nicolas Sarkozy et ses collaborateurs l’ont tellement bien compris qu’ils ont adopté – avec l’aval du conseil constitutionnel –la stratégie visant à vider le plus possible de son contenu le statut des 16-18 ans sans aller jusqu’à totalement traiter ces jeunes comme des adultes. Le dispositif de peines plancher leur est applicable (2007), mais surtout il plus facile de les priver du bénéfice de l’excuse de minorité qui veut que la peine encourue – pas la peine prononcée – soit de moitié celle encourue par un majeur pour des faits analogues (deux lois de 2007) . La dernière mesure allant dans ce sens est bien évidement la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs dont il n’est pas garanti qu’il sera composé en majorité de juges spécialisés (loi du 10 août 2011).
En attendant que son candidat s’exprime l’UMP en tient toujours pour un code de la justice pénale pour les mineurs (2) qui se substituerait à l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Les mots ayant un sens, passer de l’objectif « enfance» à «justice» n’est pas neutre : on est loin de l’utopie de la Libération qui voulait qu’en garantissant le droit à l’éducation des enfants on permette à chacun de trouver sa place dans la société, et au final à celle-ci d’être protégée. Aujourd’hui l’objectif explicite est l’ordre public. Peu importe si au passage il faut faire la part du feu. On connait aussi l’autre développement : la justice pénale doit moins s’intéresser moins à l’auteur pour se préoccuper de la victime et de l’acte. Bien évidemment il n’est pas question de négliger la victime, mais si l’on ne prend pas en charge correctement l’auteur, il y aura d’autres victimes.
Techniquement je peux témoigner comme spécialiste que l’adoption d’un code de la justice pénale st désormais inutile car toutes les mesures préconisées par le rapport de la commission Varinard remis le 3 décembre 2008 à Rachida Dati – à une près sur laquelle je reviens tout de suite – ont été adoptées par les différentes lois dont trois simplement en 2011. En d’autres termes, la proposition n’est que d’affichage, à valeur symbolique.
La proposition qui est en débat est celle qui vise à abaisser à 12 ans l’âge à partir un enfant peut aller en prison. Le premier ministre François Fillon s’y était opposé (déjà) dans une joute médiatique avec Rachida Dati qui approuvait l’idée de la commission (3). En l’état, notre droit permet de condamner à une peine de prison un jeune de 13 ans au moment des faits ; l’incarcération provisoire est même redevenue possible, sous certaines conditions quand elle avait été supprimée par Jacques Chirac en 1987-1989. La loi Mercier autorise le placement en centres éducatif fermés de primo-délinquants de 13 ans. Il n’est donc pas difficile d’argumenter pour monter que le projet UMP est court, très court pour combattre la délinquance des 12-13 ans ! Ne revenons pas sur l’encadrement militaire – en vérité par d’anciens militaires – pour les plus de 16 ans voté en décembre 2011 qui n’apporte pas grand-chose de nouveau et en tout cas ne nécessitait pas d’une loi pour pouvoir se mettre en place.
J’en viens aux préconisations du candidat socialiste. En vérité à lire ses 60 propositions, il n’en est qu’une sur le thème de la délinquance juvénile : créer 80 centres éducatifs fermés. Là encore c’est court dans tous les sens du terme : le programme de François Hollande serésumerait à créer 20 structures éducatives de plus que l’UMP quand J. Chirac en 2002 en promettait 100 ! Court encore de résumer à quelques équipements pouvant accueillir 12 jeunes la politique à suivre sur un fait de société comme la délinquance juvénile. Il n’est pas besoin d’être grand connaisseur pour comprendre qu’il manque quelques lignes à défaut de quelques pages.
M. Rebsamen sénateur-maire de Dijon, qualifié de Monsieur sécurité auprès de François Hollande est plus prolixe. Mais sans excès : « A tout acte de délinquance doit correspondre une sanction si possible sous les trois jours ». On a l’impression de régresser de trois décennies dans l’analyse. Comme si juger un jeune dans les trois jours – pourquoi pas en flagrant délit – , à supposer que cela soit techniquement possible, était de nature à résoudre ses problèmes de rapport à la loi.
Le responsable PS aurait pu s’inspirer, pour une fois, de Nicolas Dupont-Aignan qui a une formula adaptée : « A chaque acte de délinquance doit correspondre une réponse pénale immédiate proportionnée, y compris l’enfermement ». Le leader de La France debout a bien compris que n’est pas punir qui s’impose au plus tôt, mais réagir, soit par une démarche la conviction, soit par la coercition, en tout cas par une démarché éducative sachant que l’incarcération peut avoir une démarche éducative.
Mais où est la nouveauté : depuis 92 nous avons impulsé cette attitude de réagir systématiquement – le taux de réponse pénale est de 92% pour les mineurs quand il n’est que de 84% pour les majeurs- et vite. A preuve : quasiment un jeune sur deux vient au tribunal menottes aux poings en sortant de sa garde à vue et des mesures d’ordre public coercitives peuvent être prises sur le champ comme l’incarcération provisoire ; à ces déferements s’ajoutent les procédures de convocation par officier de police judiciaire, les jugements à bref délai ou la procédure de présentation immédiate devant le tribunal pour enfants lui-même qui peut prononcer une peine à la première audience utile.
Dois je soulever qu’avant d’être judicaire le problème de la réponse sociale est d’abord policier : le taux d’efficacité de la police est de 30 % dans la meilleure hypothèse et nombre de mesures ordonnées par le juge en urgence se sont pas mise en œuvre par la P.J.J. faute de moyens, l’essentiel étant consacrés aux centres éducatifs fermés et aux Etablissements pénitentiaires pour mineurs.
Les autres candidats sont tout simplement taisants sur des améliorations possibles à promouvoir de notre dispositif de réponse à la délinquance juvénile. Ils se tournent vers l’autre aspect du problème : la prévention de la primo délinquance.
Soit par des sonneries de trompettes incantatoires comme Nathalie Artaud pour qui la solution est dans la lutte contre le chômage et la précarité. Bien évidemment que cela améliorerait un tantinet la donne mais la délinquance ne s’explique pas que par la pauvreté et la précarité ! Jean-Luc Melenchon a une approche plus républicaine : luttons sans pitié contre la grande criminalité qui sert d’exemple aux plus jeunes et on progressera. Là encore comment ne pas approuver ! La criminalité en col bleu mériterait une meilleure attention et la justice doit etre exemplaire pour tous, petits ou grands. On sait aussi que le bizness de la drogue pollue nos quartiers mais que lui-même a pour ressort la crise économique qui fait que trop de gens ne gagnent pas correctement leur vie. Il gangrène toujours les quartiers.
Eva Joly dénonce « l’Etat qui a abandonné le terrain de la prévention, de la dissuasion, et de la réinsertion pour la seule répression, masquant son inefficacité sous une politique du chiffre que dénoncent les policiers eux-mêmes ». Tout cela n’est pas totalement inexact à un détail près : il n’y a jamais eu dans ce pays de véritable politique de prévention. Seuls Lionel Jospin en 1998 et1999 en a énoncé les termes en président le Conseil de Sécurité Intérieure. Le constat fait où sont les mesures préconisées Reste à décliner cette politique de prévention dans ses programmes et sous-programmes : politique familiale, politique, sociale, politique d’intégration, politique citoyenne.
M. Rebsamen donne l’orientation du PS : « Assurer le cohérence de la chaine, de la prévention, notamment par la lutte contre l’échec scolaire, à la réinsertion en passant part la sanction ». Reste là encore à décliner en mesures concrètes et trébuchantes.
Tous ou quasiment tous les candidats veulent augmenter les moyens de la PJJ, mais sans dire pour quoi faire de ces moyens renforcés et surtout quelles nouvelles actions entreprendre adaptées à la délinquance d’aujourd’hui. S’il suffisait de mettre un chèque d’un milliard d’euros sur la table cela se saurait! Comment prend-t-on en charge les 200 0000 enfants en conflit avec la loi en 2012 dans leur diversité de leurs situations quand les CEF ne peuvent en accueillir, si tant est qu’il faille les y accueillir, que 800 ? Il faut trouver des hommes et des femmes qui s’engagent auprès de ces jeunes, qui mobilisent leurs compétences et les compétences familiales et les réseaux de proximité.
Nul doute que les candidats sérieux à la présidentielle devront approfondir rapidement leur projet sur ce point.
Ceux qui gouvernent depuis 2002 ont petit à petit déconstruit la justice des mineurs à la française, désormais avec la caution du Conseil constitutionnel. Ils se proposent tout logiquement de continuer en faisant sauter les derniers verrous pour juger les plus jeunes comme des adultes. Il faut que les delinquants potentiels soient assurés d’une sanction rapide et sévère. Libres de choisir d’être ou de ne pas violer la loi, délinquants par conviction ils sauront où sont les risques. La lutte contre la récidive n’en sera pas améliorée ; leur stratégie de prévention est policière et essentiellement appuyée sur la videosurveilance.
Le PS demeure à juste titre calé sur le constat que la délinquance est liée à une carence éducative. Il peut y avoir des parents démissionnaires ; le plus souvent il y a des parents dépassés, souvent englués dans leurs propres difficultés quand il y a des parents.(4). II dispose de travaux de référence comme ceux de Terra Nova qu’il faut toutefois discuter (5) car sur de nombreux point ils cèdent à l’idéologie ambiante sans apporter de réponses à des questions délicates pour le modèle de démocratie qui se dessine. Notamment il est léger quant aux garanties à apporter aux tous pouvoirs du maire. Quelle défense devant les instances municipales? Quels recours ? De vraies questions ne pourront pas être éludées. Le maire doit-t-il avoir compétence et pouvoir de décision sur tous les sujets de la prévention ? Que devient le conseil général dans ce domaine ? La prévention est-elle policière ou sociale ? Comment concilier les deux, et là est posée la question du respect des identités professionnelle et du respect de la confidentialité des informations recueillies dans les familles pour garantir que les plus en difficulté ne fuiront pas l’aide sociale qui leur sera proposée. L’hymne à l’échange d’informations entre acteurs n’est pas aussi évident à dérouler.
Allez : encore 60 jours de campagne pour savoir quoi faire au lendemain des élections pour éviter à un à maximum d’enfants de se trouver dans de telles difficultés qu’ils violeront une loi qui, de leur point de vue, ne les protègent pas.
Il faudrait déjà s’entendre sur la nécessité de remonter le moral des acteurs de terrain peu connus et a fortiori peu reconnus des politiques qui font un boulot extraordinaire. Encouragez les ! Ne les remontez pas les uns contre les autres. Libérez les énergies et l’imagination et surtout menez en amont des politiques qui réduiront les « chances » de délinquance pour les plus jeunes en leur donnant l’espoir de s’insérer dans cette société. Des pistes existent.
Jean-Pierre Rosenszveig, président du Tribunal pour Enfants de Bobigny
(1) François Bayrou n’a pas encore rendu publiques ces propositions 2012
(2) Claude Goasguen deputé maire du XVI est plus fin en proposant un code de l’enfance affirmant le statut de l’enfant, des droits d’où découlent des devoir in Quelle justice pour les mineurs, Autrement La Croix, 2010 avec JP Rosenczveig
(3) Par un sain reflexe le premier ministre déclara qu’il ne voyait pas son fils de 12 ans aller en prison
(4) Voir mes post précédents
(5) Voir «Le parti pris socialiste sur la délinquance des mineurs « par J.- Luc Rongé, présentation et la critique du travaux de la Fondation Terra Nova dans le JDJ 310 du décembre 2011.