Sept façons d’éviter la case prison

A l’occasion de l’ouverture de la Conférence de consensus, première étape vers une grande réforme de la politique pénale, «Libé» met en lumière quelques alternatives au tout-carcéral.

Sept pistes pour donner un autre visage à la justice pénale. Espérées par une partie de la gauche judiciaire, débattues, parfois contestées… elles n’ont rien de consensuel aujourd’hui, en France, marquée par dix années de discours répressifs, la droite martelant que la prison était la seule solution à la récidive.

Par SONYA FAURE

 

Ne plus envoyer en détention pour quelques mois, libérer d’office les condamnés aux deux tiers de leur peine, permettre un dialogue entre condamnés et victimes, instaurer un numerus clausus en prison… Sept mesures avancées par Libération parmi les débats et les auditions qui ont émaillé, ces derniers mois, la préparation de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, lancée par la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Le groupe de réflexion présente aujourd’hui et demain ses travaux. Un grand jury en tirera des recommandations qu’il remettra le 20 février au Premier ministre. Mais que ressortira-t-il de cette conférence ? Après dix ans de sarkozysme, la gauche parviendra-t-elle à imposer une autre vision de la répression (lire page 5) ?

 

Déjà expérimentées. En attendant, nous avons choisi de mettre en exergue ces mesures qui, toutes, tournent le dos à l’idée que la prison est l’unique voie pour contrer la récidive. Car des études le prouvent, ce n’est pas la longueur et la sévérité de la peine qui préviennent la récidive. Mais le contenu de celle-ci. Ces sept mesures n’ont rien d’utopique. La plupart sont expérimentées à l’étranger, évaluées comme il est possible de le faire face à des histoires avant tout humaines… contrairement aux réformes emblématiques de Nicolas Sarkozy, qui n’ont fait l’objet que de très rares examens : aucune étude n’a été publiée sur l’efficacité des peines planchers – ces peines minimales quasi automatiques pour les récidivistes – entre 2008 et 2012. Quant à la rétention de sûreté, qui permet d’enfermer un criminel au-delà de sa peine, un seul homme en a fait les frais… avant d’être relâché au bout de quelques semaines.

 

Du courage. Sept mesures, enfin, qui demandent du courage politique et budgétaire. Oui, il faut plus d’agents de probation pour suivre de manière soutenue et individualisée les condamnés en milieu ouvert. Mais dépénaliser certains délits, comme la consommation de cannabis ou les infractions routières, permettra de dégonfler le nombre de dossiers dont ces conseillers d’insertion sont chargés. Oui, la mise en place de mesures de probation sérieuses a un prix. Mais certainement moins élevé que celui de la prison. Selon la chancellerie, l’incarcération coûte chaque année, en moyenne, 32 000 euros par détenu.

 

1. Automatiser la libération conditionnelle

 

Il y a peu de certitudes en matière de récidive, mais il est un point sur lequel l’écrasante majorité des études s’accordent : les aménagements de peine limitent la rechute des anciens détenus. «En France, les détenus bénéficiant d’une libération conditionnelle ont près de deux fois moins de risque d’être condamnés à nouveau que ceux qui sortent de prison en bout de peine», selon Annie Kensey, statisticienne à la direction de l’administration pénitentiaire. D’où cette idée simple, préconisée par le Conseil de l’Europe et expérimentée dans plusieurs pays, comme la Suède : cesser d’estimer que la conditionnelle est une faveur faite à un «bon détenu» et libérer automatiquement les prisonniers aux deux tiers de leur peine, au nom de la sécurité de tous.

 

A leur sortie, et jusqu’à la fin de leur peine, ils sont en effet soumis à un contrôle (la conditionnelle peut être révoquée en cas de faux pas) et bénéficient d’un accompagnement dans leur réinsertion. Ce qui explique les taux de récidive réduits.

 

La France, jusqu’à aujourd’hui, a préféré faire la sourde oreille : c’est le détenu qui doit demander sa conditionnelle, qui lui est accordée de manière discrétionnaire et rare – en 2003, seuls 10% des condamnés libérés l’étaient en conditionnelle, un taux comparable à celui de la Moldavie. Le député (PS) de Loire-Atlantique Dominique Raimbourg prône une solution mixte (à l’image de l’Angleterre) : la libération aux deux tiers de la peine pour les condamnés à cinq ans de prison au plus et l’examen automatique des dossiers pour les autres – la décision restant, pour ceux-là, discrétionnaire.

 

2. Un numérus clausus pour désengorger les prisons

 

Rassurons les inquiets, il ne s’agit pas de relâcher un violeur tout juste condamné, faute de place. Mais plutôt de ne le laisser entrer un détenu en prison qu’à condition d’en avoir fait sortir un autre, en fin de détention, grâce à un aménagement de peine (il peut, donc, toujours faire l’objet d’un suivi par un conseiller d’insertion et un juge). Bref, au-delà d’un certain taux de remplissage des prisons, un détenu ne serait pas incarcéré sans qu’un autre n’en sorte. Le député socialiste Dominique Raimbourg l’a préconisé comme une mesure temporaire d’urgence, dans un rapport contre la surpopulation carcérale remis le mois dernier. Le sujet a le chic pour mettre mal à l’aise le PS. Pourtant, dans certaines juridictions le numerus clausus existe déjà.

 

A Valence (Drôme), après la mort d’un jeune homme en détention, les magistrats et les personnels pénitentiaires ont défini ensemble un «taux d’occupation humainement acceptable» au-delà duquel ils privilégient les sanctions alternatives : jours amendes, placement à l’extérieur sous bracelet électronique… Mais, comme le dit un socialiste, philosophe : «Il est des mesures dont il vaut mieux ne pas dire qu’elles existent pour leur permettre de continuer.» Les Néerlandais avaient également opté pour un numerus clausus… qu’ils ont depuis abandonné. Plus besoin : ils ont vaincu la surpopulation de leurs prisons grâce à l’augmentation de mesures alternatives.

 

3. Les affaires de stups et les délits routiers dépénalisés

 

Sept pistes pour donner un autre visage à la justice pénale. Espérées par une partie de la gauche judiciaire, débattues, parfois contestées… elles n’ont rien de consensuel aujourd’hui, en France, marquée par dix années de discours répressifs, la droite martelant que la prison était la seule solution à la récidive.

 

Ne plus envoyer en détention pour quelques mois, libérer d’office les condamnés aux deux tiers de leur peine, permettre un dialogue entre condamnés et victimes, instaurer un numerus clausus en prison… Sept mesures avancées par Libération parmi les débats et les auditions qui ont émaillé, ces derniers mois, la préparation de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, lancée par la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Le groupe de réflexion présente aujourd’hui et demain ses travaux. Un grand jury en tirera des recommandations qu’il remettra le 20 février au Premier ministre. Mais que ressortira-t-il de cette conférence ? Après dix ans de sarkozysme, la gauche parviendra-t-elle à imposer une autre vision de la répression ?

 

Déjà expérimentées. En attendant, nous avons choisi de mettre en exergue ces mesures qui, toutes, tournent le dos à l’idée que la prison est l’unique voie pour contrer la récidive. Car des études le prouvent, ce n’est pas la longueur et la sévérité de la peine qui préviennent la récidive. Mais le contenu de celle-ci. Ces sept mesures n’ont rien d’utopique. La plupart sont expérimentées à l’étranger, évaluées comme il est possible de le faire face à des histoires avant tout humaines… contrairement aux réformes emblématiques de Nicolas Sarkozy, qui n’ont fait l’objet que de très rares examens : aucune étude n’a été publiée sur l’efficacité des peines planchers – ces peines minimales quasi automatiques pour les récidivistes – entre 2008 et 2012. Quant à la rétention de sûreté, qui permet d’enfermer un criminel au-delà de sa peine, un seul homme en a fait les frais… avant d’être relâché au bout de quelques semaines.

 

Du courage. Sept mesures, enfin, qui demandent du courage politique et budgétaire. Oui, il faut plus d’agents de probation pour suivre de manière soutenue et individualisée les condamnés en milieu ouvert. Mais dépénaliser certains délits, comme la consommation de cannabis ou les infractions routières, permettra de dégonfler le nombre de dossiers dont ces conseillers d’insertion sont chargés. Oui, la mise en place de mesures de probation sérieuses a un prix. Mais certainement moins élevé que celui de la prison. Selon la chancellerie, l’incarcération coûte chaque année, en moyenne, 32 000 euros par détenu.

 

4. Tisser un lien entre victime et condamné

 

Peut-on parler de récidive et vouloir s’inspirer des Inuits du Québec ou des Maoris d’Australie ? Avec les «cercles de sentences» ou les «conférences du groupe familial», ces communautés ont été parmi les premières à expérimenter ce que les chercheurs appellent la «justice restaurative» ou «justice réparatrice» : réunir l’auteur et la victime, amener la collectivité à s’impliquer dans la réinsertion de l’un et la réparation de l’autre. Depuis les années 70, les Etats-Unis et le Canada ont installé des médiations entre délinquants et victimes, avant le procès, pour se mettre d’accord sur le principe d’une réparation. Ou des rencontres détenus-victimes (qui ne sont pas toujours liés par la même affaire), sous la supervision de professionnels. Les condamnés découvrent que les victimes n’en ont pas fini avec la souffrance une fois le verdict tombé, et les victimes posent les questions dont elles ont pu être privées durant le procès. Le Québec multiplie les «cercles de soutien et de citoyenneté» pour les sortants de prison. Des bénévoles aidant l’ex-détenu à trouver un toit, un travail.

 

«Avec la justice restaurative, on passe de « qu’a-t-il fait ? comment le punir ? » à « que faire maintenant que l’acte a eu lieu ? », estime Robert Cario, professeur de criminologie à l’université de Pau. La collectivité s’investit : les habitants de la cage d’escalier où ont eu lieu les violences se réunissent pour dire comment ils peuvent aider l’auteur et la victime à réintégrer la communauté sans être humiliés.» Une idée intéressante, pour le juge d’application des peines Jean-Claude Bouvier, membre du comité d’organisation de la Conférence de consensus : «La justice n’est plus seulement une affaire de professionnels. Les juges s’agacent souvent de s’entendre dire qu’ils ne font rien contre les délinquants, ce qui est faux. Mais rien n’est fait pour que la société soit intégrée au processus.»

 

5. La désistance pour éviter la récidive

 

La désistance, c’est tout ce qui amène un homme à quitter la voie de la délinquance. Un champ d’études d’abord développé dans les pays anglo-saxons. En France, quelques chercheurs ont commencé à se pencher sur ce concept, qui pourrait donner (et donne déjà à l’étranger) des leviers pour agir contre la recidive.

 

Sans surprise, selon ces recherches, avoir un emploi ou un logement favorise la réinsertion. Mais, moins étudié en France, d’autres facteurs ont un rôle essentiel : être amoureux, faire son service militaire, déménager… comme le révèlent des travaux américains cités dans le livre que le sociologue français Marwan Mohammed a consacré au sujet (1). Des domaines trop intimes pour pouvoir être l’objet d’un programme contre la récidive ? Pas si sûr. Restaurer les liens familiaux des délinquants, comme on le fait déjà pour les mineurs, pourrait devenir un angle de la réinsertion. Ces axes de recherche sont d’autant plus importants que la récidive a souvent lieu dans les premiers mois de la sortie de prison.

 

«C’est un changement de paradigme, explique Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines. C’est un concept plus intéressant que celui de récidive : on ne recherche plus « pourquoi les gens récidivent » dans une optique de contrôle, mais « pourquoi ils s’en sortent ». Pas seulement parce qu’on les a surveillés, mais parce qu’ils ont eux-mêmes choisi de changer de vie.» Selon l’Association des juges d’application des peines, «ce qui semble déterminant dans la capacité du condamné à ne pas récidiver, c’est la stratégie individuelle qu’il est en mesure de mettre en place pour initier un changement de vie.»

 

(1) «Les Sorties de délinquance», sous la direction de Marwan Mohammed, (éditions la Découverte).

 

6. La probation plutôt que l’incarcération

 

A moins d’avoir un Deug de droit, comment comprendre ? Aujourd’hui, un délinquant peut être condamné à deux ans de prison sans y mettre un pied s’il bénéficie d’un sursis avec mise à l’épreuve total… tout en y étant finalement envoyé au bout de quelques mois, faute d’avoir rempli ses obligations. La création d’une nouvelle sanction, la peine de probation – ou contrainte pénale communautaire -, permettrait une plus grande lisibilité des condamnations en regroupant les mesures, qui existent déjà dans l’arsenal français (stage, bracelet électronique, travail d’intérêt général…).

 

La peine de probation deviendrait alors la sanction de référence pour les délits, vraie alternative à la prison : le condamné serait contraint de suivre une évaluation régulière et bénéficierait d’un suivi, voire d’un traitement thérapeutique individualisé, en dehors de la prison. Elle serait totalement indépendante de l’enfermement, contrairement à l’actuel sursis avec mise à l’épreuve. Celui-ci fait planer la menace d’une incarcération si le condamné ne remplit pas ses obligations qui se résument aujourd’hui le plus souvent à un contrôle répétitif (fait-il des démarches pour trouver un emploi ? peut-il présenter la preuve qu’il suit une thérapie?) sans réel accompagnement.

 

«La France est le pays où il existe déjà le plus de peines en milieu ouvert : sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, stage, sanction-réparation, jour-amende…», tempère Pierrette Poncela, professeure de droit pénal à Nanterre. Mais celles-ci sont encore trop rarement exploitées. Or, une étude, publiée en 2005 par Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS , a montré que les délinquants sortants de prison récidivent davantage que les personnes sanctionnées par une peine hors les murs.

 

 7. Pas de peine de prison de moins de 6 mois

 

La grande majorité des professionnels et des chercheurs s’accordent pour le dire : les courtes peines de prison sont inefficaces pour prévenir la récidive. Elles ne permettent pas de profiter de la détention pour engager un travail de réinsertion. Alors pourquoi ne pas les abolir ? L’idée paraît iconoclaste. Il s’agirait, en réalité, de fortement limiter la possibilité de mettre un délinquant en prison pour moins de six ou neuf mois. Sauf exception dûment motivée, le juge devrait obligatoirement trouver une peine alternative pour sanctionner les délits : travail d’intérêt général, bracelet électronique, mise en place d’un contrôle du condamné assorti d’obligations contraignantes (trouver un emploi, suivre une thérapie…).

 

Chacune à sa manière, l’Allemagne, la Suisse ou la Suède ont tenté de réduire les peines de moins de six mois (sans les interdire totalement). Mais les juges allemands ont aussi largement profité de leur droit à contourner l’interdiction des courtes peines en motivant expressément leur décision. La Suède, elle, permet aux condamnés à six mois maximum de demander à être placés sous «supervision intensive avec contrôle électronique» (un bracelet à la cheville et de strictes obligations, comme la recherche d’un travail, etc.). Environ 85% des demandes sont octroyées.

 

Les effets sur la récidive sont difficiles à évaluer, même si une étude française de 2005 montre que les condamnés à la prison récidivent davantage que les condamnés à des sanctions non carcérales. Selon les calculs du statisticien Pierre-Victor Tournier, au 1er janvier 2012, il y avait approximativement 11 700 condamnés à moins d’un an en France. Et 11 250 détenus en surnombre par rapport au nombre théorique de places dans les prisons françaises.

 

 

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