Replaçons la libération conditionnelle au cœur de la lutte contre la récidive

Tribune de Michèle Alliot-Marie , garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, publiée sur LeMonde.fr le 21 septembre 2010


Le meurtre de Natacha Mougel a dramatiquement soulevé une nouvelle fois le problème de la récidive. Je n’ai pas souhaité m’exprimer immédiatement sur le sujet, par respect pour les familles, auxquelles je rends hommage pour leur courage et leur dignité dans l’épreuve, et pour éviter les réactions sous le coup de l’émotion. Une fois passé le temps du recueillement, il est néanmoins nécessaire d’ouvrir celui de la réflexion.


La loi ne saurait être modifiée à chaque événement. Pour autant, un seul cas peut mettre en lumière les failles d’un système pourtant bien rodé, efficace, encadré par de nombreux garde-fous. Sachons tirer les leçons aussi bien des réussites que des échecs pour améliorer notre réponse pénale.


On a beaucoup lu, écrit, parlé au sujet de la libération conditionnelle. Cette mesure existe dans toutes les démocraties. Elle vise à prévenir la récidive en évitant les sorties sèches de prison. Pour le condamné, passer du jour au lendemain de la prison à l’absence totale d’encadrement n’est pas la meilleure préparation à un retour à la société civile.


Pour autant, placer un détenu en liberté conditionnelle est une décision complexe, lourde de conséquences. L’actualité l’a hélas montré. Qu’un dispositif visant à empêcher la récidive conduise finalement à celle-ci est inacceptable. Qu’une mesure visant à réinsérer les détenus dans la société ait pour effet d’accroître le danger pour nos concitoyens est intolérable. C’est pourquoi, sans en remettre en cause la philosophie, je souhaite travailler à une amélioration du dispositif, avec tous ceux qui sont concernés par le sujet.


Cinq pistes de réflexion me semblent possibles.


* Premièrement, comment améliorer l’information du juge? On ne peut se satisfaire qu’un juge doive prendre une décision de libération conditionnelle sans disposer de tous les éléments sur le détenu, alors même que ces éléments existent mais sont dispersés. Pour chaque détenu le justifiant, le juge doit disposer d’un dossier unique comprenant l’ensemble des expertises psychiatriques, psychologiques et enquêtes sociales réalisées dans le cadre d’une procédure. Le répertoire des données personnelles, prévu par la loi du 20mars, le permet. Il sera rapidement mis en place.


* Deuxième piste, améliorer l’expertise. Les psychiatres jouent un rôle important dans la décision du juge. Ceux qui sont en contact avec des criminels ou sont amenés à rendre une expertise sur un condamné doivent se voir proposer une formation spécifique, notamment dans le domaine de la délinquance sexuelle et de la criminologie. Je souhaite y travailler avec le ministre de la santé.


* Troisième piste, rompre l’isolement du juge dans la décision de remise en liberté conditionnelle. Pour éviter les risques inhérents à l’examen unique par un juge unique, plusieurs solutions peuvent être explorées. Je m’en tiendrai à une seule. En cour d’assises, des jurés participent à la formation de jugement; ne serait-il pas logique que les décisions de remise en liberté conditionnelle de condamnés aux assises fassent aussi une place à la société civile? Aujourd’hui, dans les tribunaux pour enfants ou les chambres d’application des peines, des assesseurs issus de la société civile sont adjoints aux magistrats. On peut imaginer d’étendre cette pratique au placement en liberté conditionnelle des condamnés aux assises.


* Quatrième piste, renforcer la progressivité de la libération conditionnelle. Une meilleure détection du risque de récidive exige une approche plus étalée dans le temps. En cas de suivi sociojudiciaire, la mise en liberté conditionnelle doit s’articuler autour de trois étapes: évaluation, probation, décision.


Une évaluation obligatoire doit permettre un vrai recul dans l’appréciation de la personnalité du condamné. Le centre national d’évaluation joue un rôle efficace pour les condamnés à perpétuité. Il permet une évaluation pluridisciplinaire, se déroulant sur une période d’observation, et non sur un entretien unique.


Ce dispositif pourrait être étendu aux cas de libération conditionnelle avec suivi sociojudiciaire. C’est important, notamment pour les délinquants sexuels, dont le comportement en détention est généralement sans problème.


Une formation collégiale, composée de magistrats et d’assesseurs issus de la société civile, pourrait, à la lumière de cette évaluation, accorder une période probatoire, destinée à évaluer la capacité de réinsertion. Le port d’un bracelet électronique, un placement à l’extérieur sous surveillance ou une mesure de semi-liberté peut être alors décidé.


En cas de réussite de cette période probatoire, la formation collégiale peut décider ou non d’accorder la mesure de libération conditionnelle. La période probatoire comme la libération conditionnelle demeurent révocables à tout moment si le détenu ne se conforme pas à ses obligations.


* Cinquième piste, améliorer le suivi des détenus sortis de prison. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation sont au cœur de ma politique pénitentiaire. Leur philosophie évolue. Leurs missions sont recentrées sur le suivi des aménagements de peine. Leurs moyens sont accrus : jamais autant de postes de conseillers d’insertion et de probation n’ont été créés. Ces professionnels doivent désormais prendre toute leur place au sein de la lutte contre la récidive.


Il est souvent difficile de décider le placement d’un individu en prison. Il peut être encore plus lourd de décider de sa libération conditionnelle. Information, formation, détection et suivi doivent être les points cardinaux d’une nouvelle philosophie de cette mesure judiciaire, dans le respect de l’autorité de la justice et pour la sécurité des Français.

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