Réinsertion, désistance, probation : comment sortir de la délinquance ?

Quels sont les programmes qui marchent le mieux à l’étranger et peut-on les importer en France pour éviter la récidive ? Entretien.

Abandonner la délinquance. Renoncer à « l’agir criminel ». C’est cela, la désistance. Quels sont les facteurs, les méthodes et ce supplément d’alchimie qui conduisent les délinquants à prendre un autre chemin que celui du crime ? Martine Herzog-Evans, professeur de droit et de criminologie à l’université de Reims, codirectrice de l’ouvrage Insertion et désistance des personnes placées sous main de justice (L’Harmattan), répond aux questions du Point.fr.

 

Le Point.fr : Quel est l’impact de la prison sur la récidive ? Dispose-t-on en France ou ailleurs de chiffres ou de tendances sur ce point ?

 

Martine Herzog-Evans : On n’a jamais eu de réponse précise sur ce point. En tant que telle, une peine (la prison ou autre) n’a jamais a priori d’impact positif sur la récidive, car tout dépend de ce que l’on met en face de la mesure : une probation molle ? Une probation avec programme ? etc. Par exemple, concernant l’emprisonnement, on sait que les personnes incarcérées récidivent beaucoup. D’un autre côté, c’est peut-être pour cela qu’elles y vont. On sait par ailleurs que la prison peut briser des gens parce que, tout simplement, elle renforce l’acculturation délinquante. Mais des études ont aussi montré que le fait de mettre des tigistes [personnes condamnées à devoir effectuer un travail d’intérêt général, TIG, NDLR]ensemble devient criminogène. L’être humain est par nature perméable à l’environnement dans lequel il se trouve.

 

Michel Foucault disait de la prison qu' »elle est une détestable solution dont on ne saurait faire l’économie ». Hormis sa fonction sociale de mise à l’écart des personnes dangereuses, peut-elle contribuer à la réinsertion des détenus ?

 

Ce n’est pas son rôle qui est, principalement, de neutraliser. Elle s’avère d’ailleurs utile pour deux catégories de personnes : les gens dangereux et ceux qui font de la délinquance organisée. Cela n’empêche évidemment pas de mettre en place des mesures qui accompagnent le temps d’incarcération. En revanche, il est faux de croire que la prison a un rôle thérapeutique. Ainsi, les problèmes d’addiction des toxicomanes ou des alcooliques supposent des interventions très complexes d’ordre médical et psychologique que la prison ne fournit pas. La première chose que ces personnes font en sortant de prison est de retourner au bar ou d’aller revoir leur dealer. Elles récidivent donc souvent. La nuisance réelle ou potentielle de ces personnes est importante, au travers des vols et des accidents de la route qu’elles provoquent ou risquent de provoquer. Mais imaginer que la prison va régler leur problème est une erreur. La sécurité apportée à la société sera toujours ponctuelle.

 

D’un côté, donc, la prison ne règle pas les problèmes des trafiquants de stupéfiants et, de l’autre, ces personnes n’ont aucun intérêt à arrêter leur trafic, qui les fait vivre. Qu’est-ce qui les décourage finalement ?

 

Effectivement, ces personnes gagnent tellement bien leur vie qu’elles n’ont aucune raison d’arrêter. C’est seulement au bout de plusieurs incarcérations qu’elles se calment. Elles sont fatiguées de la prison. Mais c’est précisément à ce moment-là qu’il faut être à leurs côtés, car l’ancien trafiquant sera toujours tenté de replonger s’il ne trouve rien d’autre qui lui procurera de l’argent. Il faut aider ces personnes à accepter de vivre avec moins d’argent. Cela suppose un accompagnement cognitif. Ce chemin-là, ils le font souvent par eux-mêmes. Mais ce processus peut être accéléré avec la probation et notamment au moyen de techniques de communication comme l’entretien motivationnel, qui leur fait prendre conscience de leur propre ambivalence. Ces techniques sont couramment employées au Canada, en Belgique ou en Angleterre et de plus en plus dans les pays de l’Est.

 

La France a donc beaucoup à apprendre des autres : quelles sont les méthodes de probation qui marchent à l’étranger ?

 

Il en existe trois principales. Tout d’abord ce qu’on appelle les « programmes », qui utilisent des techniques cognitives et comportementales, et aussi des techniques qui évaluent les risques et les besoins des personnes à partir de leurs failles psychosociales, de leurs addictions, etc. Ces techniques s’appliquent à toutes les formes de délinquance et donnent de bons résultats, notamment en Angleterre. Il y a ensuite les « skills » qui sont des qualités professionnelles spécifiques grâce auxquelles les agents de probation accompagnent les délinquants dans la résolution de leurs problèmes d’emploi, de logement, etc. Cela suppose par exemple de travailler sur leurs ambivalences et d’être constamment actifs dans le soutien apporté à ces personnes. Un travail en partenariat avec des spécialistes issus, par exemple, du monde de l’emploi, complète ce processus. La troisième méthode qui marche est la « juridiction résolutive de problèmes » : c’est un tribunal regroupant en son sein les différentes compétences à dimension résolutive des problèmes de délinquance. La solennité de l’intervention judiciaire renforce le processus de désistance.

 

La « désistance », quel est donc ce concept qui rime avec « résilience » ?

 

C’est l’étude du processus par lequel les gens sortent de la délinquance et renoncent à ces deux choses qui les préoccupent le plus : dire non aux copains et « gagner » moins d’argent. Ensuite, ce qui les préoccupe, c’est d’avoir un toit et un emploi. Or, la plupart n’ont pas de diplôme et doivent se former. Il leur faut accepter de changer de statut, ce qui suppose d’adhérer à un « changement narratif ». Pour résumer, on est en voie de désistance lorsqu’on commence à se définir autrement.

 

Quel est le résultat de vos recherches sur ce sujet ?

 

À partir d’un échantillon d’une trentaine de personnes avec lesquelles nous avons travaillé, nous avons mis en lumière certaines particularités propres à la France. Par exemple, l’insertion par le travail est compliquée à cause des diplômes que les employeurs réclament. Ce n’est pas le cas en Angleterre où l’on peut être recruté avec un simple brevet, mais les employeurs britanniques exigent en revanche souvent de voir le casier judiciaire.

 

Autre constat : nos agents de probation ne font pas grand-chose d’efficace pour aider les désistants. On ne peut pas créer une relation avec une personne en difficulté si on la rencontre une fois tous les deux mois. Les visites à domicile, qui sont le b.a.-ba de la probation dans de nombreux pays, n’existent pas chez nous. Nous possédons pourtant en France un terreau humain précieux, avec des gens qui sont prêts à se former et à effectuer ce travail fort utile.

 

Pensez-vous que ce processus de désistance peut être favorisé par la rencontre entre les auteurs et des familles de victimes ?

 

La justice dite « restaurative » s’est beaucoup développée au Canada et en Australie sur le modèle de leur population aborigène. Les chercheurs ont montré que cette rencontre permettait d’apaiser les victimes et leur environnement immédiat. Il existe plusieurs formes de justice restaurative, mais leur principe commun consiste à organiser une conférence, animée par un spécialiste, où sont présents l’auteur et des victimes d’infractions liées à celles dont l’auteur s’est rendu coupable (le viol, par exemple) ainsi que la famille et les gens du village (ou d’une école) par hypothèse affectés par le trouble causé par l’infraction. L’objectif est que l’auteur entende la souffrance de la victime et accepte sa responsabilité. Puis, le groupe définit une peine de réparation. Si l’auteur l’effectue, il est alors réintégré dans le groupe social. C’est une séance très lourde émotionnellement, mais la méthode marche bien. Elle est notamment appliquée aux États-Unis dans les écoles de ghettos.

 

Le juge de l’application des peines (JAP) joue, semble-t-il, un rôle important dans le processus de réinsertion. Mais il est question de le supprimer. Qu’en pensez-vous ?

 

Je suis une farouche opposante à cette idée qui va en outre à l’encontre d’un mouvement mondial consistant à réinventer le JAP. Les États-Unis ont lancé ce mouvement il y a environ vingt ans et il y existe actuellement 3 000 juridictions résolutives de problèmes (qui sont l’équivalent de notre JAP). Les Anglais nous l’envient. Tous les scientifiques s’accordent à dire que le JAP contribue à faire baisser la récidive et à faire respecter les obligations des condamnés. Il faut comprendre que la solennité et le formalisme attachés à la fonction de magistrat ont plus d’impact sur le condamné qu’un rendez-vous dans le bureau informel d’un service de probation. Les deux – JAP et agent de probation – étant bien sûr complémentaires.

 

LAURENCE NEUER

source : LePoint.fr
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