Réforme pénale : la fin du feuilleton

A l’issue d’un parcours chaotique, la réforme pénale a trouvé son épilogue, mardi 8 juillet. Les représentants des députés et sénateurs, réunis dans le cadre d’une commission mixte paritaire, se sont mis d’accord sur une version commune du projet de réforme pénale.

Ce texte, qui sera définitivement voté par l’Assemblée le 16 juillet et avant la fin du mois par le Sénat, est le résultat de presque deux années de compromis : entre la garde des sceaux, Christiane Taubira, et Manuel Valls, l’ex-ministre de l’intérieur devenu premier ministre, mais aussi entre les députés et les sénateurs.

Lire : L’Assemblée et le Sénat ont trouvé un accord sur la réforme pénale

  • Temps 1 : la mise en place d’une « conférence de consensus »

Le 18 septembre 2012, quatre mois après l’élection de François Hollande et l’arrivée d’une nouvelle majorité, Christiane Taubira, la garde des sceaux, installe une « conférence de consensus » sur les questions de récidive et de dangerosité. Les vingt-deux experts, spécialistes institutionnels et intervenants de terrain qui composent le comité d’organisation, choisissent en toute liberté un jury de vingt membres, qui, à son tour, entend une trentaine d’experts.

Lire :  Probation : la méthode Taubira pour vider les prisons (21 août 2012) et, en édition abonnés, Un grand jury pour rechercher un consensus sur la récidive (20 décembre 2012)

Le 20 février 2013, ce jury remet ses recommandations au premier ministre. Il considère qu’il dispose « d’éléments fiables pour remettre en cause l’efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive ». La prison, « la forme la plus évidente et la mieux admise des peines », n’offre à la société « qu’une sécurité provisoire » et ne doit plus être qu’une peine parmi d’autres.

Le jury propose notamment :
▪   la création d’une peine de probation « indépendante, et sans lien ni référence avec l’emprisonnement » ;
▪   la contraventionnalisation de certains délits de masse comme les délits routiers ;
▪   la suppression des peines automatiques comme les peines plancher ;
▪   la suppression de la peine et de la surveillance de sûreté, qui vise à garder un détenu même après la fin de sa peine ;
▪   la suppression des peines de sûreté systématiques pour les condamnations à dix ans de réclusion criminelle.

Lire (21 février 2013) : Récidive : la conférence de consensus contre le « tout-carcéral »

  • Temps 2 : le désaccord frontal Valls-Taubira

Pendant l’été, les relations entre le ministre de l’intérieur et la garde des sceaux se tendent. Le 12 juillet, Manuel Valls a reçu le projet de loi sur la réforme pénale porté par Christiane Taubira, qu’il désapprouve partiellement. Le 25 juillet, sans rien en dire à sa collègue de la justice, il écrit au président de la République pour lui demander d’arbitrer ce désaccord.

« Ce projet de loi repose sur un socle de légitimité fragile, la conférence de consensus », écrit ainsi Manuel Valls. Or, « la somme de connaissances accumulées ne reflète pas tous les courants de pensées », les conclusions du jury ont fait l’objet de « fortes réserves au sein même de la magistrature ».

Sur le fond, le ministre dresse la liste de ses objections :
▪   il se dit favorable à la construction de nouvelles prisons ;
▪   il se dit hostile à la suppression des peines plancher ;
▪   il estime enfin que le traitement des délinquants récidivistes « oblige à une exigence accrue de prévisibilité et de fermeté ».

Christiane Taubira découvre ce courrier début août en pleine polémique sur la décision du parquet de Chartres de relâcher trois condamnés à de courtes peines arrêtés à Dreux (Eure-et-Loir) parce que la prison de la ville était pleine. Sa réponse est cinglante :

« Nous sommes au point au-delà duquel on peut aller sans dénaturer la réforme, sauf à se priver des outils nécessaires pour lutter contre la récidive et renoncer à une réforme de rupture, telle qu’attendue et telle qu’annoncée pendant la campagne présidentielle. »

Lire :  Manuel Valls et Christiane Taubira s’affrontent sur la réforme pénale (édition abonnés — 14 août 2013) et la lettre de Manuel Valls à François Hollande, révélée par Le Monde.

  • Temps 3 : la réforme pénale est présentée en conseil des ministres

Le texte est présenté en conseil des ministres le 9 octobre 2013. Même s’il conserve quelques avancées, il a été en partie vidé de son contenu lors des arbitrages de l’été.

Les propositions fortes :
▪   la mise en place de la « contrainte pénale », une nouvelle peine possible lorsqu’un délit est puni d’une peine n’excédant pas cinq ans d’emprisonnement ;
▪   les peines plancher sont abolies ;
▪   la révocation des sursis n’est plus automatique, mais doit être réclamée par le tribunal.

Les concessions obtenues par Manuel Valls :
▪   les seuils autorisés pour les aménagements de peine sont abaissés à un an pour les primocondamnés, et à six mois pour les récidivistes ;
▪   le tribunal correctionnel pour mineurs n’est pas supprimé ;
▪   la rétention de sûreté, qui permet de garder indéfiniment en détention un condamné supposé dangereux lorsqu’il a fini de purger sa peine, n’est pas supprimée ;
▪   la libération sous contrainte. Le projet prévoyait à l’origine que pour les peines de moins cinq ans le juge d’application des peines, sauf avis contraire, prononce d’office une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine. Le juge n’est finalement tenu qu’à un examen de la situation du condamné à deux tiers de la peine.

Lire : La contrainte pénale, le pari de la chancellerie contre la récidive

  • Temps 4 : l’Assemblée et le Sénat votent deux textes différents

Le 10 juin, les députés approuvent le texte de la réforme pénale en première lecture. Le 26 juin, les sénateurs votent à leur tour le texte. Mais les textes approuvés par les deux chambres sont bien différents. Paradoxe, Christiane Taubira se retrouve à combattre, au nom de la solidarité ministérielle et des arbitrages du gouvernement, le texte du Sénat sur la réforme pénale, avec lequel elle est globalement d’accord, mais sans avoir le droit de le dire.

 Lire : Le Sénat adopte une version « vraiment de gauche » de la réforme pénale et, en édition abonnés, Réforme pénale : l’exercice de contorsion de Christiane Taubira

  • Temps 5 : un texte commun est adopté en commission mixte paritaire

Réunie mardi 8 juillet pour harmoniser les versions très différentes votées par les deux assemblées, la commission mixte paritaire (CMP) s’est mise d’accord sur un texte commun, après une semaine de négociations avec Manuel Valls :
▪   les peines plancher sont supprimées ;
▪   la contrainte pénale est créée et pourra s’appliquer aux délits punis d’une peine d’emprisonnement d’un maximum de cinq ans, avant d’être étendue à tous les délits au 1er janvier 2017 ;
▪   la possibilité d’aménager les peines des condamnations de deux ans, ou d’un an pour les récidivistes, est maintenue ;
▪   le recours aux écoutes et à la géolocalisation sera finalement réservé aux plus graves infractions, comme celles soumises à enquêtes judiciaires ;
▪   le suivi des personnes sous contrainte pénale sera réservé, après jugement, aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, et non pas partagé avec les associations ;
▪   Christiane Taubira s’est par ailleurs engagé dans un communiqué à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs « au premier semestre 2015 ».

source : Le Monde
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