Prison. Les premières unités pour radicalisés ouvrent fin janvier

Les premières « unités dédiées » pour détenus en voie de radicalisation violente vont ouvrir fin janvier dans des prisons de Lille et de région parisienne.
Ces unités représentent les premières pierres d’un dispositif ambitieux pour contrer la menace terroriste en milieu fermé.

« Nous avons pris une claque avec les attentats de janvier. Il faut comprendre par quels parcours les détenus sont passés pour mesurer les risques de passage à l’acte, savoir où nous devons intervenir », explique Isabelle Gorce, directrice de l’Administration pénitentiaire (AP), aux futurs personnels de ces unités réunis pour une journée dans un amphithéâtre du ministère de la Justice.

Cinq unités crées d’ici le mois de mars
Ils sont une centaine – surveillants, conseillers de probation ou psychologues – en formation pour trois semaines avant d’accueillir des détenus prévenus ou condamnés dans des dossiers de terrorisme dans les prisons de Fresnes, Osny et Lille-Annoeullin.

Au total, « cinq unités seront créées d’ici le mois de mars. Sur ces unités, deux seront consacrées à l’évaluation des détenus et trois à la prise en charge », précise Mme Gorce, sans exclure l’ouverture d’autres unités selon les besoins.

« Vous prenez votre part dans la lutte contre un phénomène mondial », a lancé à la salle la garde des Sceaux, Christiane Taubira, venue témoigner de sa « gratitude » envers ces agents qui « protègent la société ». La pénitentiaire, peut-être parce qu’il est plus facile d’ausculter et d’agir sur un « public captif », est l’administration qui a pris la première mesure de l’enjeu, estiment plusieurs chercheurs et observateurs.

« Eviter la contamination »
Relevant que seuls 15 % des radicalisés basculent en détention, la chancellerie a lancé plusieurs chantiers depuis les attentats de janvier 2015, notamment un programme de détection et de prise en charge des radicalisés, et a récemment annoncé une augmentation des effectifs : 1 500 surveillants seront embauchés en 2016, auxquels s’ajouteront une partie des 2 500 postes pour la justice promis après les tueries du 13 novembre. Le renseignement pénitentiaire a vu ses effectifs presque tripler en quatre ans.

Une « unité d’évaluation » à Fresnes
C’est notamment l’expérience de Fresnes, où a été créé le premier quartier dédié avec une vingtaine de radicalisés séparés des quelques 2 200 autres détenus, qui a servi à penser les futures unités.

Pour Aurélien Georges, surveillant dans cette unité depuis son ouverture en octobre 2014, l’expérience a été « positive ». Sans « créer un Guantanamo français », il fallait « éviter la contamination » des autres détenus en les protéger du discours prosélyte de quelques uns. « Cela a apaisé les choses. »

Une expérience très critiquée pour son approche « purement disciplinaire », ne prévoyant aucun « critère de sortie » des détenus. « Cela ne faisait pas consensus dans la maison, c’est toujours en débat », reconnaît Isabelle Gorce.

C’est pourquoi l’unité dédiée de Fresnes va changer de profil, pour devenir une « unité d’évaluation », avant la ventilation des détenus, qui seront selon les cas envoyés en « unité de prise en charge », isolés ou encore laissés en détention ordinaire.

« La période d’évaluation va durer environ un mois, les périodes de prises en charge de 3 à 6 mois, avec une série d’entretiens individuels, d’enseignements, de groupes de parole, d’activités », explique Géraldine Blin, tout juste nommée directrice du projet Lutte contre la radicalisation à l’AP.

Les profils des détenus seront volontairement variés : une vingtaine par unité, tous en cellule individuelle, prévenus ou condamnés, de retour de Syrie ou radicalisés sur internet.

Une variété de profils qui reflète « un djihadisme qui est un phénomène français » pour le politologue Hugo Micheron. « On parle de 600 Français actuellement en Syrie, 250 qui sont rentrés, dont 135 sont incarcérés. Même si Daech s’écroule demain, on en a pour 25 ans, une génération, à gérer cela. »

« Travailler sur l’affectif »
Aux agents qui côtoieront ces détenus demain, les chercheurs livrent aussi quelques conseils, comme l’anthropologue Dounia Bouzar, dont le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam suit un millier de jeunes.

« Face au processus de déshumanisation, il ne faut pas chercher à raisonner le jeune, mais travailler sur l’affectif : raviver des souvenirs chargés d’émotion, le ramener à l’aide de madeleines de Proust », dit-elle, espérant que ces méthodes qui « fonctionnent en milieu ouvert » puissent servir pour renouer un lien avec des détenus coupés de leur monde, premier pas pour sortir de l’emprise radicale.

 

L’article original est accessible ici

 

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