Nos tribunaux sont en cessation de paiement, notre justice vit à crédit

Alors que débute l’Euro 2016, une autre compétition acharnée se joue dans un environnement plus feutré : les arbitrages budgétaires pour l’année 2017. En effet, si le projet de loi de finances est examiné par le Parlement à l’automne, c’est au printemps qu’il est préparé par le Gouvernement.

Les services judiciaires et les juridictions font-ils partie des favoris ? Clairement non. Mais la compétition n’est pas terminée.

Le budget du Ministère de la Justice se décompose en 3 parties : le budget des prisons, celui de la protection judiciaire de la jeunesse, et celui des services judiciaires, c’est à dire des juridictions.
Depuis quelques années, les chiffres montrent que dans le contexte de restrictions budgétaires, le budget de la Justice est préservé. Mais, c’est une victoire en trompe l’oeil.

Concrètement, depuis une dizaine d’années, la réalité du terrain est toute autre : le budget n’est pas à la hauteur des attentes, particulièrement pour les services judiciaires.

Les effectifs sont notablement insuffisants. La France compte 2 fois moins de juges, 4 fois moins de procureurs, 2 fois moins de greffiers que la moyenne de nos voisins européens. Envisagerait-on de voir une équipe de France de football évoluer avec 6 joueurs ? Evidemment la qualité du jeu s’en ressentirait ! Les juridictions ont été décimées par des années et des années de recrutements insuffisants, cartons rouges arbitraires des gouvernements successifs.

Et pourtant, les juridictions doivent faire face à des contentieux de plus en plus nombreux et techniques. Les recrutements massifs de ces toutes dernières années ne suffisent pas à combler la pénurie. Certes, l’année 2016 voit un nombre record d’apprentis juges, les auditeurs de justice, formés à l’Ecole Nationale de la Magistrature. Mais les départs en retraite, qui étaient pourtant prévus, sont si nombreux que la réalité est cruelle : aujourd’hui encore, la France compte moins de magistrats qu’en 2009.

Comment rendre la Justice que les français méritent et attendent ? Soit au mépris de la santé de ceux qui y concourent, par un travail de plus en plus dense, soit au mépris des délais, avec des procédures de plus en plus longues, soit au mépris de la qualité de la motivation des décisions, voire de la qualité des décisions elles-mêmes. Le fait est que ces alternatives se cumulent.

Au-delà même des effectifs, l’équipe de France des services judiciaires frôle la relégation disciplinaire pour son calamiteux budget.

Les budgets de fonctionnement des juridictions sont en baisse. 300 millions leur sont consacrés. C’est très insuffisant pour faire face aux dépenses de loyers, d’électricité, de matériel informatique, de papier et de frais postaux. Comment font les juridictions ? Elles profitent parfois du « sponsoring » des avocats, lorsqu’ils fournissent leurs ramettes de papiers pour obtenir copies de procédures. Le plus souvent, elles ne paient pas leurs factures. La Poste est l’un des plus grands créanciers des juridictions, qui honorent leurs dettes quand elles peuvent. Et c’est ainsi que les « restes à payer » grèvent les budgets.

Sur les 300 millions d’euros de budgets de fonctionnement 2016, 122 ont servi tout de suite à payer les arriérés de l’année précédente.

Autre pénurie : les budgets de frais de justice. Les frais de justice englobent de multiples dépenses : les expertises ADN, les expertises médico-légales, les expertises techniques (après un accident d’avion, de train, de car, par exemple), les expertises psychologiques et psychiatriques, les traductions….Autant de dépenses indispensables à la manifestation de la vérité. Environ 450 millions ont été prévus pour ces frais de justice dans le budget 2016. C’est là aussi, très insuffisant. L’Etat ne paie pas ses collaborateurs avant de très longs mois, voire de nombreuses années. Sur ces 450 millions, plus de 150 servent ainsi à payer les arriérés des années précédentes.

Ainsi, pendant que l’Euro 2016 débute en cette fin du mois de juin, les tribunaux sont déjà, eux, en état de cessation de paiement : les dépenses engagées maintenant attendront l’année prochaine pour être payées.
Conséquence : les experts se lassent. Confrontés à un ministère qui les maltraite, dans leurs conditions de travail comme dans leurs rémunérations, ils démissionnent, refusent en masse les expertises. Comment les en blâmer ? Les magistrats et les greffiers assistent impuissants à cette bérézina.

La Justice, déjà au fond du gouffre, n’est plus en mesure d’assumer l’ensemble de ses missions. Encore moins de nouvelles charges, ce que de nouvelles lois ne se privent pourtant pas de lui donner. Jusqu’à quand ?

Ainsi, malgré la bonne volonté des greffiers et magistrats, qui sont ceux qui rendent le plus de décisions en Europe et malgré l’envie de ceux qui collaborent à titre quasi bénévole à la Justice, les services judiciaires français ne sont pas au niveau européen.

Tout juste pourraient ils évoluer en division d’honneur….Et l’on se prend à rêver du petit poucet : atteindre la finale ? Le mental n’y suffira pas. Un budget en forte hausse est indispensable. Cela dépendra des arbitres désignés : Gouvernement et Parlement.

 

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