Mémoires de robes noires: le « vieux palais » des avocats

Dernières plaidoiries au tribunal de l’Ile de la Cité. A l’heure du départ, les avocats se souviennent de terribles et drôles leçons d’humanité dans les salles d’audience du « vieux palais », comme on l’appelle désormais.

Des flagrants délits au choc des « compas »

Il y a 65 ans, le pénaliste Henri Leclerc entrait au palais pour la première fois: « C’était une ville qui bruissait d’histoires. Certains avocats portaient encore la toque et les dames étaient en chapeau ».

Jeune avocat, dans la salle des « flagrants délits » devenue celle des comparutions immédiates – « les compas » -, il défend un Yougoslave. « Il avait volé du lait pour se nourrir. Il ouvrait une bouteille, en buvait une gorgée, puis la refermait avec précaution. Un policier l’a surpris et j’ai été appelé pour sa défense. J’ai axé ma plaidoirie sur le malheur du monde. J’étais très satisfait, le président m’a félicité… avant de le condamner à six mois ferme. Ce jour-là j’ai appris une grande leçon: l’éloquence ne suffit pas, il faut convaincre ».

Emmanuel Daoud se souviendra longtemps du « choc de la compa ». Un gars l’interpelle depuis le box: « +Emmanuel, qu’est-ce que tu fais-là ?+ C’était Laurent D., le mec dont toutes les filles étaient folles au lycée, yeux immenses et sourire ravageur. Il était devenu toxico, on lui reprochait d’avoir incendié une voiture qu’il avait volée pour y dormir. »

Lacrymos et ninjas

Isabelle Coutant Peyre, avocate historique de Carlos, figure du terrorisme anti-impérialiste des années 1970-80, se souvient de « l’ambiance explosive » d’avril 1982: se tenait le procès de l’Allemande Magdalena Kopp, alors compagne de Carlos, et du Suisse Bruno Bréguet. Arrêtés à Paris le 16 février 1982 avec des armes et des explosifs, ils seront condamnés à 5 et 4 ans de prison.

« Avec Jacques Vergès, on défendait Kopp et Bréguet. La salle était pleine de ninjas du GIGN, avec à leur tête Paul Barril – qui dirigea ensuite la cellule antiterroriste de l’Elysée. Barril, extrêmement beau mec, avait en commun avec Bréguet des yeux bleus sublimes. A la fin de l’audience, je me suis absentée pour aller aux toilettes et quand je suis revenue, il y avait de la fumée partout. Le GIGN avait balancé des grenades lacrymo pour faire évacuer la salle, où des militants des causes révolutionnaires occupaient les rangs du public. On a dû évacuer une avocate évanouie ».

« Deux précautions valent mieux qu’une »

Dix ans plus tard, Marie-Alix Canu-Bernard défend Eric Pasquet, dit « Petit Riquet », membre du clan de Claude Genova, dit « le Gros », qui livrera une guerre sans merci aux frères Hornec pour le contrôle du milieu en région parisienne.

« Il y avait un mandat d’arrêt contre lui, pour une affaire d’extorsion. Nous étions parvenues à un deal avec la juge d’instruction: il se présentait, il était mis en examen et laissé libre sous contrôle judiciaire. C’est ce qui s’est passé.

Dans la cour, il me dit qu’il a un coup de fil à passer, puis m’explique: il était +hors de question+ qu’il aille en prison. Il avait des mecs à lui disposés dans les galeries d’instruction, des armes collées sous des bancs, pour le faire évader au cas où… Il venait d’appeler pour libérer ses gars. J’étais jeune avocate, il s’était dit: +Deux précautions valent mieux qu’une+ ».

Pasquet tombera dans une embuscade en 1994: un décharge de chevrotine le décapite en plein Paris.

« Énorme droite »

A la même période, David-Olivier Kaminski est sur « une grosse affaire de vol avec arme » en correctionnelle. « Je défendais un gars dans le box. Au début d’une audience, il fait signe à un type qui comparaissait libre de venir. L’autre s’approche et lui décroche une énorme droite. C’était inouï. Mon client s’est étalé comme une crêpe, la présidente, affolée, a suspendu la séance. On n’a jamais su quel était le différend entre eux ». Chez les braqueurs à l’ancienne, on ne balançait pas.

Fantastique buvette

Hervé Temime, 40 ans de barreau, se souvient avec émotion de la buvette du palais où l’on fêtait victoires et défaites, où s’échafaudaient les stratégies sous l’oeil de Raymonde, « une serveuse extra ». « A l’entrée, il y avait la table des pénalistes, Pierre Haïk, Thierry Herzog. On était les piliers de la table. En octobre 1990, Georges Kiejman a été nommé ministre délégué auprès du garde des Sceaux. Un copain a fait croire à un jeune avocat que je partais au ministère, dans ses valises. Le petit jeune m’a couru après par goût du pouvoir. On se marrait. »

Propos recueillis par Sofia BOUDERBALA et Sophie DEVILLER

 

Article à retrouver sur le site d’origine

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