Libérer tous les détenus aux deux tiers de leur peine ?

DES PISTES CONTRE LA RÉCIDIVE (1/4) «Libération» décrypte cette semaine quatre propositions qui seront sur la table jeudi lors de la «Conférence de consensus». Aujourd’hui, la libération conditionnelle automatique.

 

Par SONYA FAURE

 

Et si on abolissait les peines de prison de quelques mois ? Si on encourageait délinquants et victimes à se parler ? Si on inventait une nouvelle sanction, destinée à devenir la peine de référence à la place de l’incarcération ? A la demande de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, des spécialistes planchent depuis septembre sur les moyens d’amener les délinquants à changer de voie – un brainstorming pompeusement appelé «Conférence de consensus sur la prévention de la récidive».

 

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Jeudi et vendredi, ces travaux seront présentées et un jury y piochera des orientations que la garde des Sceaux s’est engagée à suivre. Chaque jour jusqu’à jeudi, Libération présente une de ces idées novatrices. Aujourd’hui, la libération conditionnelle automatique.

 

La libération conditionnelle automatique, qu’est-ce que c’est ?

 

Après avoir purgé les deux tiers de sa peine, le détenu serait automatiquement libéré. Hors les murs, et jusqu’à la fin de sa peine d’origine, il serait soumis à un contrôle et bénéficierait d’un accompagnement pour sa réinsertion. L’idée ne date pas d’hier: elle est préconisée par le Conseil de l’Europe depuis 2003, qui notait alors que la surpopulation des prisons était due à l’allongement de la durée des séjours entre quatre murs. En France, c’est aujourd’hui au condamné de préparer sa requête de libération conditionnelle. Le juge l’accepte ou la refuse de manière discrétionnaire, au gré du profil du détenu. Résultat, seuls 10% des condamnés français libérés l’ont été grâce à une conditionnelle en 2003, un taux comparable à celui de la Moldavie… Le mois dernier, un rapport du député socialiste Dominique Raimbourg plaidait pour un système de libération conditionnelle mixte: libération automatique pour les condamnés à moins de cinq ans. Examen automatique des dossiers pour les autres.

 

Où est-ce que cela se pratique déjà ?

 

L’Angleterre a opté pour un système mixte. En Suède en revanche, depuis 1998, la libération conditionnelle intervient d’office aux deux-tiers de la peine. Pour tous les détenus. «Avoir une date fixe permet aux agents de probation de mieux préparer la sortie du détenu dès le début de son incarcération, explique Norman Bishop, 90 ans, à l’origine de la loi sur la libération conditionnelle automatique en Suède. Dans les pays scandinaves, nous sommes obsédés par la volonté d’une législation claire. La libération conditionnelle d’office, c’est concret. Ça repose sur une question simple: pourquoi raccourcir une punition? Parce qu’on a en face de nous un bon détenu? Mauvaise réponse. La raison la plus pragmatique est statistique: la récidive arrive toujours très vite après la libération si on ne la prépare pas.» La conditionnelle est en Suède assortie d’un arsenal de mesures : programmes comportementalistes contre les addictions, les abus sexuels ou la violence impulsive; bracelets électroniques; accompagnement du sortant de prison par une association d’anciens détenus bénévoles, etc. Quant aux récidivistes pour qui la loi française rend plus difficile encore la conditionnelle, «évidemment qu’ils y ont droit en Suède! C’est eux qui en ont le plus besoin!», s’étonne Norman Bishop.

 

Est-ce que ça marche ?

 

«Les libérés en conditionnelle ont près de deux fois moins de risque d’être condamnés à nouveau que les sortants en bout de peine (1)», explique Annie Kensey, statisticienne à la direction de l’administration pénitentiaire. Au delà de son automaticité, qui permettrait de contrer sérieusement la surpopulation en prison, la mesure aurait l’intérêt d’éviter ce qu’on appelle les sorties sèches, en bout de peine et sans préparation, qui entraînent les taux de récidive les plus importants.

 

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Au contraire, la libération conditionnelle permet de contrôler le détenu une fois dehors jusqu’à la fin de sa peine officielle… et de l’enfermer à nouveau en cas de révocation. Face aux critiques qui reprochent à la libération conditionnelle automatique de malmener l’individualisation du parcours du condamné, le directeur de recherches au CNRS Pierre-Victor Tournier prône, à l’image du député Raimbourg, un système mixte. «Les libérés devront aussi faire l’objet d’un contrôle plus strict auquel la police doit participer, en coopération avec les magistrats. Et les études criminologiques devront être développées pour déterminer les programmes les plus adaptés à chacun.» Problème: un tel accompagnement nécessite un gros investissement en embauches de conseillers d’insertion, déjà totalement débordés aujourd’hui.

 

(1) Quand on les compare à infraction, âge, sexe et passé judiciaire égaux dans le but de limiter un biais statistique: ils sont sélectionnés comme étant les moins susceptibles de récidiver.

source : Libération.fr
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