Les propositions de l’UMP qui inquiètent le monde judiciaire

Article de Marie PIQUEMAL, publié le 09/03/2011 sur liberation.fr





Après le meurtre de Pornic et le mouvement de colère des juges, les parlementaires UMP avaient déconseillé à Nicolas Sarkozy de lancer une énième loi sur la justice. Et voilà que lors de sa «convention sur l’application des peines», mardi, le parti présidentiel a proposé des mesures plus sécuritaires les unes que les autres, et pas toujours neuves.


Revue point par point des principales propositions, avec pour chacune le rappel de la législation actuelle et l’avis de professionnels concernés.



• «Augmenter de 20.000 le nombre de places de prison entre 2012 et 2017»

La situation aujourd’hui: Au 1er janvier, on comptait 68.864 détenus dans les prisons françaises pour une capacité maximale de 56.454. Si le problème de la surpopulation carcérale est régulièrement posé, une telle augmentation du nombre de places n’avait pas été évoquée jusqu’ici.

Réactions: «Ce n’est pas avec plus de prisons que l’on va réduire la délinquance. C’est une réponse politique à court terme mais certainement pas une solution durable», déplore Chistophe Regnard, président de l’Union syndicale des magistrats (classée à droite). «On ferait mieux d’embaucher des travailleurs sociaux pour aider les condamnés à se réinsérer dans la société», poursuit-il.

«Le gouvernement parie sur une augmentation de la délinquance, c’est quand même extraordinaire comme raisonnement!» s’indigne Martine Lebrun, présidente de l’association des juges d’application des peines. Elle soulève aussi la question du coût d’une telle mesure: «Le financement des prisons en France fonctionne comme pour les autoroutes. Des entreprises telles Bouygues paient la construction des nouvelles prisons et facturent ensuite un loyer au ministère de la Justice pendant trente ans. De l’ordre de 16 millions d’euros par an pour une prison de 600 places.»

–> A lire notre enquête, publiée en 2009, sur le financement des prisons.



• «Confier au parquet la pleine et entière responsabilité de l’exécution des peines et recentrer le juge d’application des peines sur le suivi des détenus en cours de peine»

La situation aujourd’hui: Quand une peine est prononcée, la personne condamnée est soit envoyée directement en prison, soit orientée vers le juge d’application des peines qui peut décider d’un éventuel aménagement de peine (type bracelet électronique, mesure d’éloignement…)

— > Repère: notre infographie pour comprendre le circuit de la peine.
— > Récit: un juge d’application des peines raconte son quotidien.

Réactions: «Ce n’est pas la première attaque du genre. Tout comme le juge d’instruction ou le juge des enfants, le juge d’application des peines (JAP) est dans le collimateur, assure Martine Lebrun. Nicolas Sarkozy ne supporte pas les magistrats, il veut un corps de fonctionnaires qui lui obéissent. Des sortes de préfets de justice. Cela étant, si cette proposition venait à aboutir, on voit mal comment les procureurs, qui croulent déjà sous les tâches, pourraient absorber ce travail en plus.»

Pour Fabrice Dorians, travailleur social en prison, CGT pénitentiaire, confier la responsabilité de l’application des peines au parquet reviendrait surtout à mettre fin «à l’individualisation de la peine avec un recours quasi-systématique sous écrous» rappelant au passage que le procureur n’est pas un magistrat indépendant, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme.


• «Supprimer la procédure d’aménagement systématique des peines de moins de deux ans»

La situation aujourd’hui : C’est une possibilité ouverte par une loi récente, datant de 2009. Pour désengorger les prisons, il a été décidé que les personnes condamnées à moins de deux ans ferme puissent bénéficier directement d’un aménagement de peine sans passer par la case prison.

Réaction unanime, que l’on peut résumer ainsi: «Le gouvernement n’est pas à une contradiction près.»



• «Supprimer les réductions de peines automatiques»

La situation aujourd’hui : Depuis la loi Perben de 2004, chaque condamné sait en arrivant en prison que s’il se comporte bien pendant sa détention, il pourra bénéficier d’une réduction de peine, calculée en fonction de la durée de la condamnation. Exemple: une personne condamnée à trois ans ferme peut sortir au bout de deux ans et cinq mois. Cette remise de peine n’est pas automatique, le juge d’application des peines peut s’y opposer.

Réactions: «Le système des remises de peine a été mis en place en 1972 après les mutineries dans les prisons en 1970, dans un but bien précis : maintenir l’ordre dans les prisons, rappelle Martine Lebrun. Si on enlève tout espoir pour les détenus, les surveillants pénitentiaires n’auront plus de monnaie d’échange pour les faire tenir tranquille.»

Fabrice Dorians renchérit: «C’est un outil de gestion pour réguler et apaiser le climat en détention. Les supprimer, c’est augmenter les violences à coup sûr.»



• «Ne pas accorder de possibilité de liberté conditionnelle avant que les deux tiers de la peine aient été purgés»

La situation aujourd’hui : Le juge d’application des peines peut (il n’y a rien d’automatique) décider de placer un détenu en liberté conditionnelle s’il a purgé la moitié de sa peine pour les primo-délinquants (les deux tiers pour les récidivistes). En pratique aujourd’hui, peu de détenus bénéficient de cette mesure.

Réaction: «C’est toujours la même logique: garder les gens le plus longtemps possible en prison», se désole Martine Lebrun. «Or, on le sait, c’est contreproductif pour la société. Aucune étude ne prouve qu’allonger la durée de la peine réduit le risque de récidive. C’est comme si on disait « plus on tape sur un enfant, plus il va obéir », c’est exactement le même raisonnement.»




• «Associer des citoyens, tirés au sort, aux juges d’application des peines pour les décisions de libération conditionnelle des criminels»

La situation aujourd’hui: Seul le JAP statue en audience. Les jurés populaires existent seulement en assises, mais Nicolas Sarkozy a évoqué à plusieurs reprises son souhait de les voir aussi en correctionnelle et dans le système de l’application des peines.

Réactions contrastées: Christophe Regnard n’est pas complètement opposé à cette idée: «Cela se fait déjà en appel: le JAP est entouré d’un représentant d’une association de victimes et d’une association de réinsertion sociale. Pourquoi ne pas faire pareil en première instance? Si cela permet d’encourager le placement en liberté conditionnelle, j’y suis favorable».

Martine Lebrun préfère en rire: «Laissez-moi vous dire que si cette mesure est adoptée, on va rire. Cela va complètement bouleverser le rythme de travail. Les juges ne pourront plus tenir des audiences jusque tard dans la soirée comme c’est le cas aujourd’hui! De quinze dossiers traités par jour, on va tomber à cinq.»



• «Développer les peines alternatives comme les travaux d’intérêt général»

La situation aujourd’hui: 14% des 170.000 condamnés qui purgent leur peine à l’extérieur de la prison exécutent des travaux d’intérêt général, encadrés par les municipalités ou les associations.

Réactions: Qu’ils soient juges ou travailleurs sociaux, tous s’accordent à dire que sur le papier, c’est une bonne idée. Mais bien loin de la réalité. «Ils nous vendent des solutions qui existent déjà sans même prendre la peine de nous consulter», peste Regnard.

En pratique, aujourd’hui, il y a beaucoup plus de personnes condamnées à un travail d’intérêt général que de places disponibles. Et l’on manque de travailleurs sociaux pour encadrer les condamnés. «Que tous les maires UMP s’engagent à proposer un certain nombre de postes et on en reparle», ironise Martine Lebrun.



• «Mettre en place des outils statistiques de prédiction de la récidive»

Réactions unanimes, là aussi. «Du grand n’importe quoi, c’est toujours la même fuite en avant. Nicolas Sarkozy continue de faire croire que la récidive peut être totalement éradiquée. répétons-le une énième fois, le risque zéro n’existe pas», conclut Christophe Regnard.

source : liberation.fr
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