Les conditions de garde à vue sont-elles constitutionnelles ?

Article de Mathilde Gérard paru sur LeMonde.fr le 20 juillet 2010


Le Conseil constitutionnel s’est penché, mardi 20 juillet, sur la conformité à la Constitution de la garde à vue française. Dans toute la France, des dizaines d’avocats avaient déposé ces dernières semaines des « questions prioritaires de constitutionnalité », qui permettent à tout justiciable, depuis le 1er mars, de contester une loi en vigueur.
Un sujet polémique


La Cour de cassation, concluant au caractère « sérieux » de ces requêtes, a décidé d’en saisir les sages de la Rue Montpensier. Après l’audition ce mardi de dix avocats, le Conseil constitutionnel devra se prononcer le 30 juillet. Trois options s’offrent à lui : valider, abroger ou émettre des « réserves d’interprétation » sur les dispositions du code de procédure pénale régissant la garde à vue.


* Que dit la loi ?


Les conditions de garde à vue sont régies par les articles 63 à 65 et 77 du code de procédure pénale. Il existe plusieurs types de contrainte, qui suivent trois modèles : la procédure pénale de droit commun, la procédure pénale d’exception réservée à la criminalité organisée et le terrorisme et la procédure pénale concernant les mineurs. Pour les majeurs impliqués dans des affaires de droit commun, la durée de garde à vue est de 24 heures, renouvelables une fois sur autorisation du parquet. Mais la garde à vue peut durer jusqu’à 96 heures lorsque l’enquête concerne des faits de criminalité organisée et de terrorisme.


L’avocat, qui n’a pas le droit d’assister aux interrogatoires, ne peut s’entretenir avec son client que 30 minutes en début de garde à vue ; il ne peut ensuite le revoir qu’à partir de la 24e heure. Pour les faits de criminalité organisée, le premier entretien est même retardé à la 48e heure, voire à la 72e heure lorsque le gardé à vue est soupçonné de trafic de stupéfiants ou de terrorisme. Et surtout, l’avocat ne peut avoir accès au dossier : beaucoup dénoncent ainsi une « défense à l’aveugle ».


* Une « exception française »


Deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mettent en cause indirectement la procédure de garde à vue en France. Ces arrêts, qui concernent tous deux la Turquie, réaffirment la nécessité de la présence d’un avocat lors de toute privation de liberté.


Dans l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008, la Cour indique que « le prévenu peut bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police ». Et d’insister, dans un deuxième arrêt, Dayanan contre Turquie, le 13 décembre 2009, estimant que « l’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. »


En 2009, le Sénat s’est penché sur les conditions de garde à vue dans six pays européens – Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Espagne, Italie – et met en évidence, dans son document de travail (PDF), « trois singularités françaises », parmi lesquelles « le caractère limité de l’intervention de l’avocat pendant la garde à vue ».


* Ce que prévoit la réforme du code de procédure pénale


Dans un entretien au Figaro, le 20 avril, Michèle Alliot-Marie affirmait que la réforme de la garde à vue serait présentée « à l’Assemblée nationale et au Sénat à la session d’automne », dans le cadre d’une réforme plus large de la procédure pénale. La garde des sceaux et le premier ministre, François Fillon, ont promis de rendre la garde à vue « plus humaine ».


Un premier projet a été présenté par la ministre début mars, qui reprend les grandes lignes du rapport remis en septembre par le comité Léger de réflexion sur la justice pénale. Celui-ci propose un deuxième entretien entre le gardé à vue et son avocat à la douzième heure, avec accès du défenseur aux procès-verbaux d’audition. La présence de l’avocat aux auditions de son client serait possible à l’issue de la 24e heure. Le texte prévoit aussi la création d’une interpellation de quatre heures pour les délits passibles de moins de cinq ans de prison.


Des propositions bien en deçà des demandes des avocats, qui demandent à assister aux auditions dès les premières heures de garde à vue et avoir accès au dossier complet du gardé à vue, et non aux seuls procès-verbaux d’audition. Quant aux députés de l’opposition, ils souhaitent que lorsque l’enquête porte sur des faits passibles de moins de cinq ans de prison, les interrogatoires se déroulent dans le cadre d’une simple audition et non d’une garde à vue.


Plus récemment, en mai, Michèle Alliot-Marie a évoqué à Bordeaux la possibilité d’un « contrôle de la garde à vue par un magistrat du siège », à la place d’un magistrat du parquet. Cet infléchissement est une conséquence d’un arrêt de la CEDH du 29 mars dans l’affaire Medvedyev contre France. La Cour y considère que l’autorité de contrôle doit être indépendant à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui n’est pas le cas du parquet.


Les contours de la réforme seront de toute façon contraints par la décision du Conseil constitutionnel, d’où la prudence de la garde des sceaux, qui s’est peu exprimée sur ce dossier ces derniers mois.


* Les réserves des policiers


Les officiers de police judiciaire s’inquiètent de la présence renforcée des avocats en garde à vue qui serait, à leurs yeux, susceptible de ralentir les investigations. L’hostilité des syndicats policiers a même été portée jusque devant les tribunaux : Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat Synergie a été condamné en mai, par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, à verser un euro de dommages et intérêts à l’ordre des avocats et au syndicat des avocats de France. Il avait déclaré, en décembre 2009 sur RTL, que l’insistance des avocats à être présents en garde à vue relevait « d’une offensive marchande ».


Le syndicat dénonçait également dans un tract une « campagne publicitaire des avocats », soulignant que les policiers sont « des hommes et des femmes qui n’ont pas de leçons d’intégrité à recevoir de la part de commerciaux dont les compétences en matière pénale sont proportionnelles aux montants des honoraires perçus ». Également poursuivi en diffamation, le syndicat a lui été relaxé par le même tribunal, jugeant qu’en dépit de son « ton vif » et de son « caractère réducteur », le tract de Synergie « ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression ».


Le tribunal a toutefois noté dans ses motivations qu' »une réforme de la garde à vue ne pourra que prendre en compte une assistance accrue de l’avocat, conformément à la jurisprudence de la CEDH et à l’instar des systèmes adoptés dans les pays européens voisins ».

source : LeMonde.fr
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