Le grand bug informatique de Cassiopée freine la justice

Article de Jean-Marc Leclerc, publié le 01/03/2011 sur lefigaro.fr



Dans la mythologie, Cassiopée était une reine vaniteuse punie par Poséidon. Au ministère de la Justice, c’est le nom d’un ambitieux projet informatique que le garde des Sceaux, Michel Mercier, aimerait sauver des eaux. Cette application sur ordinateur est censée offrir au magistrat une vision complète de chaque dossier judiciaire, de chaque profil de mis en cause, depuis la commission du fait jusqu’à la sortie de prison du condamné. Un système dont on mesure l’intérêt alors que tout le débat sur l’affaire de la jeune Laëtitia, violée et découpée par un récidiviste en janvier dernier à Pornic, a porté sur l’incapacité de la justice à évaluer à temps la dangerosité du tueur présumé, faute d’une information complète et largement diffusée sur son parcours.


Un rapport parlementaire passé totalement inaperçu dans la torpeur des vacances de février révèle l’ampleur du fiasco informatique de la Chancellerie. Dans son étude «sur les carences de l’exécution des peines et l’évaluation de l’application Cassiopée» le député UMP de l’Ain, Étienne Blanc, révèle ainsi que la mise en place du superlogiciel Cassiopée a pris «un retard considérable, de 43 à 48 mois». À ce jour, seule un peu plus de la moitié des juridictions a pu en être équipée, une centaine sur 179. «Elles seront bientôt 138», se rassure-t-on Place Vendôme. Mais pour quel avantage?


Étienne Blanc a analysé un à un les malheurs de Cassiopée. Il pointe «l’insuffisance de prise en compte des besoins opérationnels des magistrats et des greffiers». Selon lui, «80% des juridictions» interrogées par son groupe d’étude «ont indiqué ne pas avoir été associées à la conception de l’application».


Le député dénonce la «sous-estimation chronique de l’importance que ­revêt le pilotage d’un tel projet» et le manque de «moyens suffisants» pour le mener à bien. En tout cas, dans un premier temps. Selon lui, le déploiement de Cassiopée plombe souvent l’activité des services là où le système est mis en œuvre. Il «a considérablement accru le stock des procédures à enregistrer» et «de jugements à dactylographier», révèle le rapporteur. Le seul tribunal de grande instance d’Avignon, cité en exemple, déplorait en novembre dernier un stock de plus de 12.000 procédures non enregistrées.


La bonne vieille méthode papier crayon et les anciens logiciels des tribunaux autorisent même un traitement plus rapide des dossiers. À Nancy, où le superlogiciel tourne depuis septembre 2009, «un fonctionnaire pouvait enregistrer chaque jour, en moyenne, vingt convocations par OPJ ou comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, quand Cassiopée ne permet d’en enregistrer que quinze». Les bugs et autres dysfonctionnements se sont en outre multipliés, comme à Bourg-en-Bresse, où Cassiopée s’est bloquée 60 heures en pleine visite des parlementaires…


Le contenu même des informations enregistrées laisse parfois à désirer. Le rapporteur parle de «style approximatif et parfois juridiquement inexact, avec des références aux textes de loi souvent insuffisantes, voire erronées, tout cela pouvant compromettre la validité des actes». Il ajoute que «le suivi de l’exécution des peines demeure lacunaire: trois quarts des juridictions interrogées considèrent que Cassiopée n’a pas permis de réaliser de progrès sur ce plan».


Autre faille révélée: «Il n’est plus possible, avec Cassiopée, de visualiser l’ensemble des affaires concernant un individu par la simple saisine de son nom, ni d’obtenir une information claire sur l’état d’exécution des jugements.» Un fonctionnement aux antipodes des intentions affichées!


La Chancellerie, bien sûr, met les bouchées doubles pour sortir de l’impasse. Et elle viendra à bout des difficultés, comme la SCNF le fit naguère avec son système de réservation Socrate. Déjà, Étienne Blanc propose un plan exceptionnel de 120 millions d’euros pour l’exécution des peines. Il serait financé par les recettes en hausse des PV. Une idée pour sauver Cassiopée.

source : lefigaro.fr
Partagez :