«La sortie, c’est une angoisse pour les détenus»

TÉMOIGNAGE Jean-Marc Chevalier, ex-prisonnier, porte-parole de la conférence pour la prévention de la récidive.

 

Jean-Marc Chevalier, 68 ans, est sorti de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) en mai après «une dizaine d’années» dans différents établissements. Il a été l’un des porte-parole de détenus à la Conférence de consensus pour la prévention de la récidive. Des pistes de réflexion, les détenus en ont. Lui projette de monter une structure, en Corse, afin d’accompagner les sortants de prison.

 

«La première chose qui manque, c’est l’écoute. L’extérieur ne veut plus de vous. A l’intérieur, la plupart des surveillants sont humains mais passent leur temps à ouvrir et fermer des portes et faire appliquer des règlements ubuesques (savoir si le gars a bien eu trois douches dans la semaine et pas quatre). Alors ce qu’a fait Christiane Taubira avec la Conférence de consensus a été vécu comme quelque chose de presque aussi fort qu’abolir la peine de mort : jamais l’Etat n’avait ouvert le débat sur la justice aux détenus, surtout pour dire que la prison n’est pas la seule solution. Rien qu’à Bois-d’Arcy, 400 des 850 détenus ont voulu participer. Il y a eu un espoir immense. Il faut qu’il y ait une suite à ça.

 

«D’abord il n’y a pas une récidive, il y a des récidives. On n’est pas tous des criminels. En détention j’ai croisé beaucoup de gens qui avaient une vie comme tout le monde, avant. Il faut développer les alternatives à la prison : le gars qui ne sait pas conduire, c’est pas en prison qu’il va apprendre. Alors qu’après trois mois avec des accidentés de la route à l’hôpital de Garches, il aura une autre vision de la vie quand il tournera sa clé de contact.

 

«Multiplier les aménagements de fin de peine, créer une libération conditionnelle automatique… oui, à condition que ce soit bien préparé. Parce que si le type récidive, vous imaginez les réactions… Je connais un gars entré en prison pour 6 mois au bout desquels sa vie était brisée. Plus de boulot et sa copine était partie – la famille attend rarement, sauf pour les grands bandits. On l’a remis dehors avec 10 euros en poche et un ticket de métro. Un clochard, quoi. Il est allé errer, il a rencontré une jeune femme handicapée, il a abusé d’elle. Il attend les assises, il en aura pour 20 ans.

 

«La sortie, c’est une angoisse. Dès la moitié de notre peine, notre leitmotiv c’est : comment je vais faire dehors ? La chose qui m’embêtait moi, c’est idiot, c’était de reprendre la voiture. Il faut dire que pour la formation, l’administration a tout faux. J’ai eu un codétenu de 35 ans. A sa façon d’écrire, je me dis : celui-là, soit il fait de l’humour, soit il est illettré. Je lui ai conseillé de prendre des cours. Le sujet de sa première dissertation : « L’homme est un loup pour l’homme. » A un gars qui ne sait pas écrire !

 

«J’ai travaillé en cuisine pendant trois ans, sept jours sur sept pour 320 euros par mois. Quand vous voyez ces rémunérations, comment voulez-vous motiver les jeunes ? On leur propose aussi des formations de nettoyage industriel. Comme ils ont vu leur mère trimer dans le nettoyage, ils préféreront continuer à dealer une fois sortis.

 

«La prison, ça peut aussi être l’école de la vie. Il y a beaucoup plus de fraternité que dehors. On pourrait s’appuyer dessus pour réinsérer les détenus.»

 

SONYA FAURE

 

source : Libération.fr
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