La « prison sans barreaux » divise les magistrats et les politiques

Les alternatives à la prison se multiplient ces dernières années en France comme en Europe.

 

AVEC CET ARTICLE

 Une réforme pénale fragile faute de moyens suffisants

 Outre-Rhin, on évite les courtes peines de prison

 

En créant une nouvelle peine en milieu ouvert, Christiane Taubira ne fait qu’amplifier un mouvement amorcé avant elle.

Certains s’en félicitent, d’autres y voient au contraire un message d’impunité envoyé aux délinquants.

 

Faire de la prison la peine de dernier recours, tel est l’objectif de la réforme pénale de Christiane Taubira. Comment ? En incarcérant moins fréquemment les auteurs de délit et, lorsque c’est malgré tout nécessaire, en raccourcissant leur temps de détention au profit d’un suivi en milieu ouvert.

 

UNE RÉFORME INÉVITABLE

 

Dans cette logique, le projet débattu ce 2 juin 2014 prévoit la création d’une nouvelle peine hors-les-murs (la « contrainte pénale »), la suppression des peines plancher et la mise en place d’une libération sous contrainte. Non sans diviser l’échiquier politique. La droite fustige le « laxisme » de la gauche et sa « théologie de la libération ». Côté de la majorité, on se dit au contraire « pragmatique » et partisan d’une « fermeté éclairée ».

Mais, au fond, la réforme Taubira révolutionne-t-elle vraiment le traitement de la délinquance ? Moins qu’on ne le pense. La ministre de la justice ne fait en réalité qu’amplifier un mouvement initié avant elle et visant à multiplier les sanctions en milieu ouvert. La « contrainte pénale » ne fera que s’ajouter au « sursis avec mise à l’épreuve », au « bracelet électronique », au « travail d’intérêt général », etc. Autant de dispositifs déjà susceptibles de se substituer à la prison ferme, notamment depuis la loi pénitentiaire de 2009… votée sous la droite.

Certes, depuis, la population carcérale a continué d’augmenter – et même battu de tristes records – sous l’effet conjugué de l’allongement des peines et de la hausse de la délinquance. Il n’empêche, les alternatives à l’incarcération ont elles aussi cru de façon significative. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au 1er janvier 2014, les services d’insertion et de probation géraient 174 108 condamnés en milieu ouvert, contre 67 075 détenus.

Et ce n’est en rien une spécificité française. En témoignent les réformes adoptées en ce sens ces dernières années chez nos voisins (Pays-Bas, Suède, Allemagne) « Toutes les directives communautaires appellent au développement des alternatives à l’incarcération, note Me Carbon de Seze au barreau de Paris. À terme, les pays qui ne s’engageront pas sur cette voie seront condamnés par l’Europe. »

 

L’EFFET PERNICIEUX DE LA PRISON

 

Comment expliquer le procès fait ces dernières années à la prison ? Pour Frédéric Gros, professeur à l’IEP de Paris (1), la prison n’a tout simplement pas rempli l’objectif qui lui était assigné. « Quand, au début du XIXe siècle, on renonce aux châtiments corporels au profit de la prison, c’est dans l’espoir qu’elle amènera le condamné à s’amender. On est convaincu à l’époque que l’enfermement ira de pair avec l’introspection. » L’idée de rédemption n’est pas loin. Le fait qu’on ait opté pour des termes religieux comme la « cellule » est d’ailleurs emblématique. Sans succès. « Confronté à sa seule conscience entre ses quatre murs, le condamné ne s’est finalement pas remis en question comme on l’espérait », note l’universitaire.

Plus grave, la prison semble même criminogène. L’adage très souvent entendu dans les coursives selon lequel « on entre en détention avec un CAP de voleur et on sort avec un Master en criminologie » tend, enquête après enquête, à se confirmer. Dans le même temps, selon plusieurs études, les aménagements de peine et les libérations conditionnelles s’accompagnent d’une moindre récidive (2). C’est en se fondant sur ces résultats que la conférence de consensus sur la récidive de février 2013 a, sans grande surprise, appelé au développement accru des alternatives à l’incarcération.

Les peines « ambulatoires » remplaceront-elles à terme la prison ? Le contrôle en milieu ouvert se substituera-t-il à l’incarcération ? « La surveillance et le contrôle en milieu ouvert prennent petit à petit le pas sur l’emprisonnement, constate Paul-Roger Gontard, juriste et spécialiste du monde carcéral. La “privation” de liberté perd du terrain au profit de la “restriction” de liberté ». Le suivi en milieu ouvert a notamment le mérite de responsabiliser le condamné en adaptant son suivi à son comportement.

 

UNE PHILOSOPHIE TRÈS DISCUTÉE

 

La montée en puissance des aménagements de peine est toutefois loin de faire l’unanimité. Notamment dans l’opposition, où l’on plaide au contraire pour la construction de nouvelles prisons. « Encourager le suivi en milieu ouvert, comme on l’a fait en 2009, était une erreur, estime le député UMP Georges Fenech. Il faut arrêter d’envoyer de tels messages d’impunité aux délinquants. » Et l’élu de poursuivre : « La réforme de Christiane Taubira s’inspire d’une philosophie visant à rééduquer les hommes plutôt qu’à juger les faits, c’est très dangereux ! »

Même discours alarmiste du côté de l’Institut pour la justice (IPJ), une association classée à droite. « Multiplier les peines en milieu ouvert, c’est se priver de l’effet neutralisant de la prison, note son délégué général, Alexandre Giuglaris. Par définition en effet, un condamné ne peut récidiver durant sa détention. » Selon l’IPJ, l’incarcération massive pratiquée aux États-Unis durant les années 1980 et 1990 expliquerait en grande partie la baisse de la délinquance enregistrée durant cette même période.

Dernier argument en faveur de la prison : sa fonction punitive. L’incarcération – et la souffrance qu’elle engendre – constitue une réparation symbolique du dommage causé à la victime. Or cette dimension expiatoire disparaît avec les peines en milieu ouvert. C’est en tout cas la conviction du magistrat Philippe Bilger qui raille la « prison à la maison, et pourquoi pas demain peine sans sanction ». Une ironie qui n’étonne pas le rapporteur du projet de loi Taubira, Dominique Raimbourg : « Dans l’imaginaire collectif, la peine est et reste la prison. On a du mal à concevoir l’idée de sanction hors les murs. » Frédéric Gros ne dit rien d’autre : « Les peines en milieu ouvert semblent édulcorées, assimilées à simple prise en charge éducative. »

 

DÉBAT OUVERT SUR LE CHAMP DE LA RÉFORME

 

Quel sera l’avenir de la réforme Taubira ? Difficile de le dire. Une chose est sûre : elle suscite l’ire de la droite et, chose nouvelle, elle divise la gauche. Les débats sont en effet vifs ces derniers jours entre l’exécutif à sa majorité, cette dernière souhaitant étendre la « contrainte pénale » à tous les délits (et non plus aux peines jusqu’à cinq ans de prison).

« Le développement des peines en milieu ouvert ne sera possible, et admis par l’opinion, que si l’on évite toute condamnation simpliste de la prison, affirme pour sa part Pierre Victor Tournier, spécialiste de la démographie pénale au CNRS. Car, soyons clairs, il faut à la fois promouvoir les alternatives à l’incarcération sans s’empêcher de recourir à la prison pour toute une série de délinquants et, bien évidemment, pour les criminels. »

 

MARIE BOËTON

 

(1) Et auteur de ‘Et ce sera justice. Punir en démocratie’.

(2) Ces études sont toutefois biaisées puisque les condamnés bénéficiant de ces mesures sont les moins sujets à la récidive.

source : LaCroix.com
Partagez :