« La prison, c’était ma cure de jouvence, ma maison secondaire »

Alain, ex-trafiquant de drogue, vient de purger sa peine. Il évoque son combat pour se réinsérer dans la société et l’importance du retour progressif à la liberté, dont il a pu bénéficier pour étudier.

 

La rédaction : Nous avons découvert une partie de votre parcours, dans l’ouvrage La lente évasion, de Camille Polloni1. Vous avez fait de la prison à plusieurs reprises. À quel moment avez-vous décidé de sortir de la délinquance ?

Alain : J’ai voulu sortir de la délinquance pour ma femme (ils sont séparés depuis, ndlr). C’était invivable pour elle, j’ai décidé d’arrêter. J’allais me marier, j’avais trouvé un travail. Mais mon passé m’a rattrapé et j’ai été incarcéré.

La rédaction : Dans cet ouvrage, on lit que la délinquance était votre quotidien. Expliquez-nous.

Alain : Je suis un enfant de la rue à la base (il a grandi à Nanterre, ndlr). On commence petit à voler dans les magasins. Puis ça va en augmentant. La frontière entre le bien et le mal, on ne la connaît pas. On a besoin de tout, tout de suite, on fait avec. Je ne pensais pas dépasser la vingtaine, je pensais mourir bien avant (Alain a 38 ans, ndlr).

La rédaction : En abandonnant la délinquance, tous vos repères se sont effondrés ?

Alain : C’est toute une façon de refaire sa vie, de repenser, c’est un peu compliqué… Tous les codes changent. Mon monde s’est écroulé. Mes proches, j’ai été obligé de les zapper, de couper les ponts. Rien que de les voir, ce serait commettre un crime aux yeux de la police. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que c’est ma famille. C’est difficile à vivre au quotidien.

La rédaction : Qu’est-ce qui vous manque le plus de cette ancienne vie ?

Alain : Le goût du risque, l’adrénaline. La vie normale, c’est un peu monotone. Quand on a vécu à 100 à l’heure, ralentir le pas, c’est difficile. Dans la rue, dans la prison, il y a des règles, tout est minuté. Aujourd’hui, il faut combler ce vide. Je me torture en restant dans un endroit fixe, le même travail, la même résidence. Je suis à bout de souffle mais je m’accroche. Cette vie de sédentaire ne me plaît pas mais il faut que ça me plaise. Le travail, le logement, les études, c’est très dur. J’aimerais bien arriver à ce moment de déstress, de sérénité.

La rédaction : Vous aviez du mal à nouer des liens avec les « gens normaux », indiquiez-vous. Ça va mieux ?

Alain : Non, je suis toujours aussi largué. Le problème, c’est que je n’ai pas du tout les codes. Au travail, je suis seul en cuisine, je ne parle à personne. Avec les étudiants, c’est un peu compliqué, leur façon de vivre est différente. J’ai des réactions qu’eux n’ont pas. J’aimerais plus ressembler aux gens normaux. Ce que j’aime bien chez eux, c’est que leurs problèmes sont futiles. Ils prennent le temps de vivre.

La rédaction : Le travail de la journaliste Camille Polloni vous a-t-il aidé ?

Alain : Oui. Ça m’a aidé à mettre de côté mes mauvaises valeurs, à mieux comprendre cette logique qui me fait défaut. Ça m’a permis de ne pas retomber dans mes travers.

La rédaction : Vous avez purgé votre peine en avril. Vous sentez vous réinséré dans la société ?

Alain : Heu… bonne question. J’essaie d’être un citoyen. Pour être totalement réinséré, il faudrait que je ne me pose plus de questions sur ce que l’on peut faire ou ne pas faire.

La rédaction : Comment voyez-vous l’avenir ?

Alain : Je marche sur un fil. La prison est encore dans ma tête. J’ai gardé mes habitudes de prison, je suis très normé, je fais beaucoup de sport, je sors à telle heure… Ça fait un peu obsessionnel.

La rédaction : Dans votre nouvelle vie, qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

Alain : Les études. Pouvoir faire ce que j’aime, la psychologie (Alain est en licence II, ndlr). C’est peut être lié à ma vie, le fait de rencontrer des gens très différents, de devoir les analyser assez rapidement. J’aimerais avoir ma licence III, c’est un rêve d’enfance. Si je l’ai, pourquoi pas continuer…

La rédaction : Vous avez décroché votre diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) en prison. Après trois ans d’enfermement, vous avez obtenu un régime de semi-liberté pour étudier…

Alain : Sans l’école et la culture, la prison, ça ne sert à rien, c’est l’école du crime pur et dur. Au départ, à Bois-d’Arcy, je n’ai pas pu avoir de place au centre scolaire qui était surchargé. Un codétenu m’avait dit qu’à la Santé, les études étaient correctes et que l’on pouvait y apprendre beaucoup de choses. Alors, j’ai prétexté des problèmes pour demander un transfert et ça a fonctionné.

À la Santé, j’ai pu accéder aux cours et valider mon DAEU. Les professeurs m’ont beaucoup aidé. Chaque année, j’avançais, je pouvais me dire que je ne moisissais pas en prison. J’ai commencé un diplôme universitaire mais j’ai dû arrêter à cause des transferts. Ces transferts nuisent beaucoup aux études en prison. Quand on n’a pas de famille, que l’on n’a rien, on est transféré là où il y a de la place. Je suis allé dans des établissements où il n’y avait rien pour moi au niveau réinsertion. Un jour, alors que je demandais mon transfert, le juge d’application des peines m’a convoqué pour un aménagement de peine. Je lui ai dit que je voulais reprendre mes études, que j’allais chercher un travail et un logement comme tout le monde. Par miracle, ça a été accepté, sans projet bien concret. On m’a laissé ma chance.

La rédaction : Lors de cette semi-liberté, vous avez trouvé un emploi que vous occupez toujours dans la restauration rapide et suivi vos cours de première année de psychologie à la faculté (Alain était en conditionnelle, lorsqu’il a validé sa première année, ndlr).

Alain : Oui et un jour ma conseillère d’insertion et probation m’a dit que l’APCARS (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale, ndlr) pouvait me proposer une chambre d’hôtel pour le week-end. Grâce à cette chambre, j’ai pu étudier plus correctement. En prison, il y a tout le temps du bruit.

La rédaction : L’Apcars vous a aidé aussi dans vos démarches administratives. Racontez-nous.

Alain : Je suis arrivé sans rien et ils m’ont tout donné. Je n’avais même pas de pièce d’identité. Au début de la semi-liberté, j’étais paumé. L’assistante sociale m’a beaucoup aidé à ne pas craquer. Aujourd’hui, j’habite en résidence sociale grâce à cette association.

La rédaction : Cette question du logement, c’est déterminant ?

Alain : Oui. Sortir de prison sans logement, ça aurait été le retour à la délinquance. Par le passé, j’ai connu une sortie sèche. Je me suis retrouvé devant la porte de la prison avec mon sac. Fallait que je mange, que je dorme, alors je suis retourné dans mon quartier. On m’a redonné une arme et je suis reparti dans la délinquance.

La rédaction : Que vous a apporté la prison ?

Alain : J’ai eu cette chance d’aller en prison, ça m’a ouvert l’esprit. J’y ai rencontré des gens admirables. La prison, ça m’apportait une stabilité, un repos, je savais que je n’allais pas me faire tirer dessus. Depuis que je suis tout petit, c’est argent, argent, argent. On est des hommes d’affaires à notre petit niveau. Je ne restais jamais chez moi, je dormais à droite, à gauche. Je savais que la police pouvait taper à la porte. La prison, c’était ma cure de jouvence, ma maison secondaire.

(1) Camille Polloni, La Lente évasion, Premier Parallèle/Rue89, 2015 (4,99 € en livre numérique ; 12 € en papier sur commande). Renseignements ici. La journaliste de Rue89 y raconte les entretiens entre Alain et l’assistante sociale d’une association l’épaulant lors de sa semi-liberté (l’APCARS). Ces récits étaient initialement hébergés sur le blog de l’auteur.

Propos recueillis par Caroline Fleuriot

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