La prise en charge en dehors de la prison réduit le risque de rechute des délinquants

La plupart des études qui tentent de cerner de manière rationnelle le problème de «la désistance », c’est-à-dire de la sortie de la délinquance, sont anglo-saxonnes, et peinent à faire leur chemin en France. Les chercheurs s’appuient pourtant sur quelques constats solides pour réduire la récidive, dont un livre donne, pour la première fois en français, les principales pistes de recherche (Les Sorties de délinquance. Théories, méthodes, enquêtes, sous la direction de Marwan Mohammed, La Découverte).

 

Une première idée fausse voudrait qu’un mineur délinquant passe peu à peu des petits délits aux infractions plus graves, pour devenir un criminel endurci si on ne l’arrête pas avant: qui vole un œuf vole un bœuf. En réalité, on n’est pas délinquant à vie. «L’écrasante majorité des personnes qui se lancent dans la délinquance finissent par l’abandonner», indique Stephen Farrall, de l’université anglaise de Sheffield.

 

L’une des rares certitudes de la criminologie est bien que la délinquance est liée à l’âge. Les taux de criminalité atteignent leur apogée à la fin de l’adolescence pour ensuite diminuer graduellement, et ce quel que soit le type de délinquance. «La délinquance décroît avec l’âge», confirment les chercheurs californiens Gottfredson et Hirschi.

 

Deux universitaires américains ont profondément marqué les recherches sur la désistance, le criminologue John Laub et le sociologue Robert Sampson. Ils sont tombés par hasard dans la cave de la Harvard Law School, dans le Massachusetts, sur 60 cartons poussiéreux d’archives de deux de leurs prédécesseurs, Eleanor et Sheldon Glueck. Les Glueck avaient comparé les parcours de 500 garçons délinquants de 10 à 17 ans, et de 500 non-délinquants du même âge depuis 1940, en fonction de leur âge, de leur appartenance ethnique, de leur QI et de leur milieu social. Laub et Sampson ont suivi ces mêmes 1 000 personnes jusqu’en 1993 et obtenu ainsi un nombre de données considérable, sur une période sans équivalent.

 

Pour Laub et Sampson, il y a certes une relation statistique entre délinquance juvénile et criminalité adulte, mais elle est indirecte et pour eux, «la délinquance est un processus indépendant qui n’est réductible ni à l’individu ni à l’environnement». La variable décisive serait «le contrôle social informel», c’est-à-dire les liens de l’individu avec la société, la famille, l’école, le mariage ou l’emploi. Le mineur délinquant n’a que de faibles liens sociaux à l’âge adulte, ce qui le conduit à son tour à la criminalité: il s’agit du «“handicap cumulé” par lequel les délits graves et leurs inévitables

corollaires (telle l’incarcération) sapent les liens de contrôle social informel ultérieurs (telle l’employabilité). Ce qui, en retour, renforce les risques d’une poursuite des comportements transgressifs ».

 

Heureusement, «des tournants» interrompent la spirale de la délinquance, notamment «le mariage, le service militaire, la maison de redressement, le travail, et le fait de déménager». C’est que «l’arrêt de la délinquance n’est pas forcément un processus conscient ou volontaire, mais plutôt la conséquence des “paris subsidiaires” (réussir son mariage, garder son emploi, etc.).» Ainsi, «c’est le comportement qui change l’identité, et non l’inverse».

 

Les psychologues objectent à cette «théorie du parcours de vie» que les changements d’attitude précèdent souvent, voire déclenchent, les changements de comportement. Ainsi Shadd Maruna (Belfast) et Thomas LeBel (Milwaukee) mettent en avant la théorie«de l’étiquetage». «Si l’environnement (et en particulier les tenants du pouvoir) traite l’individu comme un danger, une menace, un voyou ou un perdant, il peut intérioriser cette opinion extérieure et se comporter en accord avec cette identité d’adoption.»

 

A l’inverse, et c’est «l’effet Pygmalion », «on commence à croire que l’on est capable de changer de vie lorsque notre entourage pense qu’on le peut», hypothèse étayée par d’innombrables travaux. Ce qui signifie qu’il faut entreprendre un «désétiquetage» du délinquant: «Non seulement l’individu doit accepter la société conventionnelle afin de revenir dans le droit chemin, mais la société conventionnelle, symétriquement, doit accepter que l’individu ait changé.»

 

D’où l’importance de la prise en charge, en dehors de l’incarcération. C’est pendant «les trois premiers mois suivant leur élargissement que les ex-détenus risquent le plus de récidiver», indiquent des études américaines. «Il est essentiel de donner aux ex-détenus la possibilité de renouer avec des institutions telles que la famille, l’école et l’emploi, après une longue période d’incarcération comme, d’ailleurs, après tout contact avec le système pénal», insistent Laub et Sampson. En revanche, chacun s’accorde sur «ce qui ne fonctionne pas» pour réduire la récidive: «Les dispositifs reposant sur la menace, la crainte et/ou les stratégies de punition (…) axé sur une surveillance coercitive, la surveillance électronique, les camps de style militaire et le redressement par la peur.»

 

Malheureusement, on ne sort pas de la délinquance d’un coup, c’est un processus lourd et lent. Une société doit choisir «entre les démarches de mise à l’écart, plus sûre à court terme (la prison), indique Fergus McNeill (Glasgow), et les démarches fondées sur le changement à long terme, moins sûr, mais plus efficace en définitive». C’est tout l’objet du débat sur la probation.

 

Par Franck Johannès

 

source : LeMonde.fr
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