La contrainte pénale en 7 questions

Les arbitrages entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice ont été rendus. La contrainte pénale, voulue par Christiane Taubira, a été conservée.

 

La contrainte pénale est le dispositif central voulu par Christiane Taubira pour lutter contre la récidive et favoriser la réinsertion des condamnés. D’abord appelée « peine de probation », le gouvernement a finalement opté pour une nouvelle terminologie. Cette mesure est une des grandes rescapées du conflit qui a opposé tout l’été la garde des Sceaux au ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Mais de quoi s’agit-il ? Voici les contours de cette réforme tels que dévoilés en avant-première par le ministère de la Justice.

 

Une peine en milieu ouvert

 

La contrainte pénale est une peine restrictive de liberté, mais qui se déroule en milieu ouvert (hors prison), au sein de la communauté. Elle consiste pour le condamné à respecter un certain nombre d’obligations (travail d’intérêt général, injonction de soins, indemnisation de la victime…) et/ou d’interdictions (s’approcher du domicile de la victime, par exemple) calquées sur l’actuel sursis avec mise à l’épreuve (SME). Elle ne peut être inférieure à un an et ne peut excéder cinq ans.

 

Qui concerne-t-elle ?

 

La contrainte pénale concernera l’ensemble des personnes déclarées coupables d’un délit puni jusqu’à 5 ans d’emprisonnement, y compris les récidivistes. Cela va du vol simple aux homicides involontaires ou aux coups ou blessures volontaires entraînant une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours. Une personne déclarée coupable d’exhibitionnisme pourrait aussi être condamnée à une contrainte pénale. Cette nouvelle peine s’ajoute à celles qui existent déjà. Autrement dit, s’il l’estime nécessaire, lors de l’audience de jugement, le tribunal correctionnel pourra décider qu’une peine de prison est préférable à la contrainte pénale.

 

Le choix de la contrainte pénale

 

C’est la juridiction de jugement (le tribunal correctionnel) qui prononce la contrainte pénale. Mais c’est le juge de l’application des peines (JAP) qui en définira les contours. Concrètement, après le prononcé de la peine, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) auront trois mois pour faire une enquête fouillée sur la vie du condamné : sa situation personnelle et familiale, ses capacités de réinsertion, ses projets professionnels, etc. Au terme de cette période, les SPIP proposeront au JAP un certain nombre de mesures qui leur paraissent opportunes. La décision finale appartiendra au JAP. Les obligations et interdictions qu’il peut prononcer existent déjà dans notre droit : obligation de soins, interdiction d’approcher la victime, travaux d’intérêt général ou encore obligation de suivre un stage ou une formation. L’objectif est d’individualiser la réponse pénale en fonction de la situation globale de l’intéressé.

 

Et si la personne condamnée ne respecte pas ses obligations ?

 

En cas de non-respect des obligations, c’est une nouvelle fois le JAP, et non la juridiction de jugement, qui décidera des suites à y apporter. Il pourra, par exemple, renforcer le suivi et prononcer des mesures plus contraignantes. Si cela ne suffit pas, il aura également le pouvoir de révoquer totalement ou partiellement la mesure, ce qui se traduira par un séjour en prison. L’emprisonnement ne pourra excéder la moitié de la durée de la contrainte pénale. Par exemple, si le tribunal prononce une contrainte pénale de 4 ans et que le condamné ne respecte pas ses obligations, le juge ne pourra pas l’envoyer en prison plus de deux ans. Le juge aura cependant la faculté d’envoyer la personne en prison pour une courte durée, puis de la remettre à l’épreuve en renforçant ses obligations. Une fois par an, la situation de la personne condamnée est réévaluée par les SPIP et le JAP. Les policiers pourront avec autorisation du magistrat (JAP ou procureur) effectuer des visites au domicile des personnes condamnées à cette nouvelle peine.

 

Que fait-on du condamné entre le moment où le tribunal prononce la peine de probation et la fin des trois mois d’enquête du SPIP ?

 

La personne condamnée devra attendre trois mois pour connaître exactement les mesures auxquelles elle devra s’astreindre. Pendant ce temps, elle peut être remise en liberté et respecter les obligations et interdictions prononcées par le tribunal qui l’a jugée et qui seront par la suite affinées par le JAP. Le tribunal peut également décider de la mettre en prison en attendant la fin de l’expertise confiée au SPIP. Le condamné sera alors emprisonné sous un nouveau régime, différent de l’actuelle détention provisoire.

 

Qu’est-ce qui distingue la contrainte pénale de l’actuel sursis avec mise à l’épreuve ?

 

C’est ici que le bât blesse. La contrainte pénale se veut « déconnectée de la peine de prison ». Il s’agit d’une peine à part entière, « qui ne fait pas référence à l’emprisonnement », insiste-t-on au ministère de la Justice. Le condamné n’aura donc plus au-dessus de la tête l’épée de Damoclès de l’emprisonnement. Problème : pour que la peine de prison décidée en aval par le JAP soit valable, le condamné devra être prévenu à l’audience qu’il y a un risque de prison en cas de non-respect des obligations de la contrainte pénale. Dès lors, si on comprend en théorie la différence entre le sursis avec mise à l’épreuve (SME) et la contrainte pénale, cela est beaucoup moins évident en pratique.

 

Quand la contrainte pénale va-t-elle entrer en vigueur ?

 

Pas avant 2015. La présentation en conseil des ministres du projet de loi relatif à la récidive est prévue le 2 octobre. Une première lecture au Parlement devrait avoir lieu début 2014, avant les élections municipales. Mais le texte ne serait vraiment débattu qu’après les élections. La contrainte pénale nécessite également le recrutement de nombreux conseillers d’insertion et de probation – Christiane Taubira en a promis 300 en 2014 – dont la formation dure deux ans. Actuellement, 170 000 personnes en milieu ouvert sont suivies par les SPIP. Les effectifs des JAP devraient aussi s’étoffer, la chancellerie prévoyant de créer 42 postes supplémentaires en 2014. Des chiffres qui apparaissent d’ores et déjà insuffisants aux yeux des syndicats.

 

LAURENCE NEUER ET MARC LEPLONGEON

source : LePoint.fr
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